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Libération
édito

Etre ou ne pas être populiste

publié le 11 juin 2019 à 21h06

Au commencement, il y a une théorie, inspirée de la vie politique latino-américaine et professée, entre autres, par Chantal Mouffe, philosophe et militante de la gauche radicale. Première thèse : les sociétés démocratiques sont plus divisées qu’on ne croit. Impossible d’y résoudre les conflits par la simple confrontation des idées : les affects sont trop puissants et sont l’essence même de la politique. Ce qui légitime la virulence, la dénonciation, la simplification, le discours des tripes et du cœur, plus fort que celui de la raison. Deuxième thèse : la vieille lutte des classes est morte, effacée par la dispersion des salariés, la fin de leur regroupement dans de grandes unités de production qui homogénéisent les luttes sociales. Le vrai clivage, c’est celui qui oppose d’un côté «le peuple», qu’on doit construire à travers des luttes urbaines (et non d’entreprise), autour des transports, de la pollution, du mal-logement, de l’exclusion géographique (type «gilets jaunes»), et de l’autre «l’oligarchie», c’est-à-dire une mince couche de profiteurs et leurs complices fonctionnaires, «sachants» ou journalistes.

Armé de cette théorie, qui était aussi celle de Podemos en Espagne ou de Tsípras en Grèce, Jean-Luc Mélenchon a créé La France insoumise, organisation «gazeuse» qui ne serait pas l’énième avatar de la gauche de la gauche mais un mouvement nouveau, raide et tonitruant, qui mettrait en mots la colère «du peuple» contre «l’oligarchie». La théorie a marché dans un premier temps, puis elle a fait long feu, pas seulement en France (en Espagne et en Grèce aussi), tuée par la démagogie et l’outrance, les revers de cette médaille stratégique. Pour une raison principale : il y a des concurrents sur le créneau populiste, ces nationalistes qui savent mieux encore que Mélenchon simplifier les problèmes (c’est la faute des étrangers) et parler «aux affects». Revenir à gauche ? Voir Clémentine Autain. Rester dans la même ligne ? Voir les autres dirigeants de LFI. Entre les deux, Hamlet-Mélenchon hésite. Etre ou ne pas être populiste ? C’est la question.