La mort d'un utilisateur de trottinette électrique. Cette tragique éventualité planait depuis leur apparition massive dans le paysage urbain. Lundi soir, un homme de 25 ans qui circulait sur l'une d'elles a succombé après avoir été percuté par une camionnette. La collision s'est produite à 22 h 27, à l'angle des rues Léon et Doudeauville, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. L'utilisateur de la trottinette aurait refusé la priorité au véhicule qui arrivait sur sa droite. En arrêt cardiorespiratoire, le jeune homme a été transporté en urgence à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière où il n'a pas survécu à ses blessures.
A l’arrivée de la police, la trottinette avait curieusement disparu. Le conducteur du camion a été placé en garde à vue, les analyses toxicologiques dont il a fait l’objet se sont révélées négatives. Une enquête est ouverte pour homicide involontaire, annonce le parquet de Paris.
«Pas une surprise»
Plus que la conduite de la victime ou l'usage de sa trottinette électrique, ce qui est pointé dans le quartier de la Goutte d'Or au lendemain de l'accident, c'est la dangerosité du carrefour où a eu lieu le drame. «Ce carrefour est l'endroit le plus accidentogène que je connaisse», réagit Hamid, gérant du bar l'Omadis à l'angle des rues Léon et Doudeauville. Ce croisement avait fait l'objet d'un signalement en mai 2018 auprès de services de la mairie d'arrondissement. Le 1er octobre suivant, la section territoriale de la voirie de la mairie du XVIIIe assurait que «les actions correctrices appropriées ont été mises en œuvre ou le seront très prochainement». Aucun aménagement n'a pourtant été constaté par les riverains.
Ce décès, le premier dans la capitale, n'est «pas une surprise» pour Alain Sautet, chef du service d'orthopédie de l'hôpital Saint-Antoine, dans le XIIe arrondissement de Paris, qui voit affluer de plus en plus de patients blessés en raison de l'usage de trottinettes. Urgentiste à l'hôpital Pompidou, son confrère Rafik Masmoudi fait le même constat : «Les trottinettes électriques deviennent un problème de santé publique.» Pour l'heure, il est cependant impossible d'évaluer l'ampleur du problème : aucun chiffre national n'a encore été publié car les statistiques officielles ne distinguent pas les accidents causés par des trottinettes de ceux liés aux rollers, même si ces derniers sont loin de rencontrer le même succès que les reines du free floating.
«Risques de séquelles»
A Lyon, autre métropole où la trottinette abonde, l'hôpital Saint-Joseph-Saint-Luc, qui centralise toutes les urgences du centre-ville, a reçu 145 patients pour des accidents liés à son usage entre le mois de janvier et la mi-mai. Ils n'étaient que 35 entre septembre et fin décembre 2018. Cette tendance à la hausse, le docteur Masmoudi la constate également à l'hôpital Pompidou. Il l'explique autant par le retour des beaux jours que par l'augmentation du nombre de véhicules disponibles. Depuis janvier, son service a accueilli environ 80 patients pour des raisons similaires. Il s'agit «dans 90 % des cas de contusions légères ou de blessures superficielles». Dans son service de chirurgie orthopédique, le professeur Sautet reçoit pour sa part les patients dont les fractures nécessitent une opération. C'est par exemple cette femme de 35 ans admise en début de semaine pour une «épouvantable fracture de la jambe et du plateau tibial, qui risque de lui causer plus tard des problèmes d'arthrose». Le chirurgien précise : «Le type de fracture varie selon l'âge du patient. Les plus jeunes souffrent plus souvent de fractures au poignet, au bras ou au coude. Généralement, ils n'auront pas de séquelles importantes à l'avenir. Les patients plus âgés, à partir de 35 ou 40 ans, souvent plus lourds, souffriront, eux, de fractures de la jambe, du genou, ou encore de la cheville, avec plus de risques de séquelles.»
Mercredi dernier, la maire de Paris a annoncé les mesures qu'elle souhaitait prendre pour encadrer l'usage de ces engins. Anne Hidalgo déplorait le nombre trop important de «faits divers» liés aux trottinettes. Ainsi, le 12 avril à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), quand un octogénaire est mort après avoir été percuté par une trottinette. Le conducteur de l'engin doit être jugé à Nanterre le 23 septembre.
«Projeté à 25 km/h»
Les cas graves de ces «victimes collatérales» restent cependant marginaux. Le professeur Sautet estime que sur la quarantaine d'opérations effectuées dans son service après des accidents de trottinettes électriques depuis janvier, moins de 10 % concernaient des piétons percutés. Un chiffre corroboré par le docteur Masmoudi, qui estime qu'aux urgences de l'hôpital Pompidou, «10 à 15 % des patients blessés sont des piétons accidentés indirectement». Les piétons impliqués dans ces accidents s'en sortent souvent avec des blessures généralement moins importantes que «celui qui va être projeté de sa trottinette à 25 km/h», souligne le professeur Sautet.
Pour limiter la dangerosité des trottinettes électriques et éviter de voir les accidents se multiplier, la maire de Paris souhaite brider les engins à 20 km/h sur les routes, contre 25 km/h actuellement. Emmanuel Barbe, le délégué interministériel à la sécurité routière, a indiqué mardi sur Europe 1 que la réglementation était «pratiquement prête. […] Elle devrait faire l'objet d'un décret en Conseil d'Etat, je l'espère pour la fin du mois de septembre». Le projet de loi d'orientation des mobilités débattu actuellement à l'Assemblée nationale doit précisément réguler la mise en circulation et l'usage de ces engins toujours plus problématiques.