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droits de l'homme

Une femme déboutée du droit d’asile expulsée vers l’Erythrée

La Cimade dénonce cette expulsion, «une première» souligne l’association de défense des migrants, vers un pays où le régime commet des «violations massives des droits de l’homme» selon l’ONU.
Photo d'un couloir du nouveau centre de rétention administrative de Toulouse prise à travers le hublot d'une porte, le 26 juin 2006. (Photo Georges Gobet. AFP)
publié le 13 juin 2019 à 15h19

Le 6 juin, la préfecture des Pyrénées-Orientales a expulsé du territoire français une femme étrangère, dont la demande d’asile avait été rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Arrêtée dans un bus en provenance de l’Espagne en mai, elle avait été placée en rétention à Toulouse et, comme le recours déposé devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) n’est pas suspensif, finalement expulsée. L’histoire serait assez banale si la destination vers laquelle cette femme a été envoyée n’était pas Asmara, capitale de l’Erythrée.

Ce pays ultrafermé est dirigé par le même homme, Isaias Afwerki, depuis 1991. L'année dernière, la rapporteure spéciale de l'ONU sur place s'inquiétait de la persistance de «violations massives des droits de l'homme» par le régime. «Il faut faire le service militaire dans notre pays. Si cela durait deux ou trois ans, je serais d'accord, mais c'est un service qui ne finit jamais. Ou plutôt, ça finit quand tu meurs. Mes frères et mon père, qui a 70 ans, sont toujours soldats», témoignait auprès de Libération en décembre 2017 un jeune homme qui avait fui l'Erythrée. Le Quai d'Orsay déconseille d'ailleurs vivement aux Français de s'y rendre, les prévenant que l'ambassade y dispose de «moyens limités pour venir en aide aux Français en cas de crise».

«Risques importants»

C'est ce qui inquiète la Cimade : «La personne qui a été expulsée court des risques importants en Erythrée, dit David Rohi, responsable rétention de l'organisation de défense des migrants. On ne sait pas si cette expulsion, c'est un dérapage ou si elle marque une volonté de reprise des expulsions [vers ce pays].»

La préfecture des Pyrénées-Orientales, elle, ne voit pas le problème : «La personne a fait valoir tous les modes de recours, et il y a quand même eu cinq décisions de justice, dont l'Ofpra qui est indépendante, le juge des libertés qui l'a maintenue en rétention… Ce n'est pas seulement une décision en sa défaveur, c'est cinq. Donc le préfet, qui n'est pas seul dans sa prise de décision, l'a exécutée comme il pourrait le faire sur d'autres dossiers de ce type», explique-t-on.

«Justice déshumanisée»

David Rohi balaye l'argument : «La préfecture se borne à dire qu'elle a respecté la loi et la procédure, mais un préfet est aussi lié par les risques d'exposition à des traitements inhumains et dégradants, ce n'est pas pour rien que la France, d'habitude, n'expulse pas vers l'Erythrée !»

Surtout, il pointe les conditions dans lesquelles cette femme a constitué son dossier de demande d'asile : «Le préfet a décidé de la maintenir en rétention quand elle a déposé sa demande d'asile, ce qu'il n'était pas obligé de faire. Or une demande d'asile en rétention n'a rien à voir avec une demande normale. Il faut rédiger son dossier en français par exemple. Elle a été entendue par l'Ofpra par visioconférence, le traducteur n'était pas dans la même pièce qu'elle, cela limite la qualité de l'examen.»

La vidéo-audience est d’ailleurs dénoncée par les avocats des barreaux de Lyon, Nancy et Paris après qu’il a été décidé de l’expérimenter pour les audiences à la Cour nationale du droit d’asile, cette fois. «Nous ne pouvons pas admettre ce type de justice déshumanisée, dans un domaine où l’intime conviction du juge va décider de la vie d’une personne et de sa famille», expliquait Serge Deygas, bâtonnier élu du barreau de Lyon, alors que les avocats se mobilisaient contre au début de l’année.