C’est la stratégie de la tache d’huile. Forts mais isolés sur le plan national, incapables de passer une alliance avec l’un des «grands partis» - qui sont de plus en plus petits -, les lepénistes ont renoncé à présenter des listes partout en France. Ils se concentreront sur leurs fiefs, chercheront à se renforcer là où ils sont forts. Un peu comme les amibes, le RN se reproduit par scissiparité ; une ville gagnée la fois précédente «fait des petits» dans le voisinage. On pourrait s’en féliciter : le RN n’est pas assez implanté pour gagner des mairies sur tout le territoire ; il doit se contenter de ses régions d’élection, le Nord, l’Est et le Sud-Est. Ce serait oublier plusieurs réalités. D’abord une certaine pérennité : sur les dix villes de plus de 5 000 habitants où il gouverne, il devrait en conserver huit. Point de rejet à l’épreuve du pouvoir : prudent, sérieux, le lepénisme municipal gagne ses galons de gestionnaire. Ensuite un appétit de conquête : souvent, le RN minoritaire approche la majorité absolue à lui tout seul. Au second tour, il lui suffit de rallier une petite partie de l’électorat pour l’emporter. Il peut même espérer des convergences locales : avec une droite républicaine affaiblie, les notables en danger ou bien désireux de créer une majorité seront tentés par l’alliance RN sous une étiquette rassurante, sans que la direction parisienne, déconsidérée par ses déboires aux européennes, puisse vraiment s’y opposer. L’ancrage populaire, enfin : c’est le point le plus angoissant. Les villes cibles, Denain, Perpignan, Lens, Tarascon ou Carpentras, souffrent de maux comparables : délaissement social, cohabitation difficile des différentes origines, anémie économique. Comme partout en Europe, la rhétorique identitaire maniée dans un contexte d’abandon social exerce sa force d’attraction. Sans que le «nouveau monde» ni l’ancien ne sachent réagir.
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