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Initiative

A Lille, un observatoire pour scruter les pratiques policières

A l'image de ce qui se fait dans d'autres villes, des universitaires, avocats, militants de la Ligue des droits de l’homme ou syndicalistes veulent défendre le droit de manifester.
Lors d'une manifestation des gilets jaunes à Lille, le 5 janvier. (Photo Philippe Huguen. AFP))
publié le 18 juin 2019 à 19h04

Scruter le travail des policiers et gendarmes nordistes pour mieux défendre le droit de manifester. C'est la mission que se donne l'Observatoire lillois des pratiques policières (l'OPP), lancé ce mardi. A Lille, des universitaires, des avocats, des militants de la Ligue des droits de l'homme et des syndicalistes locaux (SUD-Solidaires Nord, SUD éducation, SUD santé-sociaux) s'associent pour réaliser un travail d'analyse de l'action des forces de l'ordre. Pour Julien O'Miel, universitaire membre de l'OPP lillois, il s'agit «de retourner l'armement statistique contre l'Etat».

Cette démarche d'observation citoyenne s'inspire de celles déjà en œuvre à Toulouse, Montpellier ou Nantes. Toutes s'inscrivent dans le contexte du mouvement des gilets jaunes et de l'aveuglement de la part des autorités sur les violences policières. Dans un récent entretien au JDD, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner déclare qu'il «n'accepte pas l'expression violences policières». La patronne de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) Brigitte Julien réfute, elle aussi, ces termes.

Un déni qui inquiète ces défenseurs des libertés publiques. Il y a de quoi… Depuis le 17 novembre 2018, une femme est décédée à l'hôpital après avoir été blessée à son domicile par des éléments d'une grenade lacrymogène, vingt-trois personnes ont été éborgnées, cinq ont perdu une main. Et environ 2 400 autres personnes ont été blessées, selon le ministère de l'Intérieur. «On constate, au moins depuis la loi Travail, une intensification de la répression policière», contextualise l'universitaire Julien O'Miel. La police utilise «des techniques de maintien de l'ordre déjà à l'œuvre dans les quartiers populaires», ajoute Edward Millot, syndicaliste.

«S’appuyer sur des faits»

Un peu partout en France, des citoyens et des militants s'organisent pour rendre compte de cette réalité. «Nous pensons que les structures d'Etat ne font pas leur travail», estime Gérard Minet, membre de la Ligue des droits de l'homme. «On ne focalisera pas sur les violences policières mais sur la pratique policière, c'est plus large», complète Muriel Ruef, avocate. Pour les membres de l'OPP lillois, des données existent déjà sur les comportements des manifestants. Eux prévoient donc de produire «des données manquantes sur toute la chaîne de la répression», lors de tous types de manifestations. Celles des gilets jaunes et celles pour climat, des droits des femmes, des quartiers populaires, des sans-papiers ou des salariés.

Leurs observateurs seront formés par des sociologues, des experts du maintien de l’ordre et des militants aguerris. Une partie d’entre eux seront visibles et identifiés. D’autres se fondront dans les cortèges. L’OPP lillois table sur au moins neuf volontaires pour couvrir une manifestation de mille personnes et cherche déjà ses futurs bénévoles.

Ces observateurs consigneront le nombre et le type d'effectifs de police déployés. Ils recenseront les interdictions de manifester, les tirs de LBD, les grenades utilisées, les gazages, les matraquages, les charges policières, les interpellations. Ou encore, ils noteront les stratégies de proximité des forces de l'ordre avec les cortèges. «On ne veut pas dire n'importe quoi. On veut s'appuyer sur des faits. Il s'agit d'être crédibles, avec un regard scientifique et une méthode universitaire», indique Edward Millot, syndicaliste (Sud éducation Nord). Notes, photos et vidéos à l'appui.

Obstructions 

Ces observations s'étireront sur des mois, voire des années, avant d'être rendues publiques. Sur son site, la Ligue des droits de l'homme compile les rapports des différents comités locaux. On y retrouve des analyses pour la Gironde et les villes de Montpellier, Toulouse et Nantes. Alors que le ministre de l'Intérieur vient d'annoncer une réflexion sur le maintien de l'ordre, l'avocat Antoine Chaudey (Syndicat des avocats de France) glisse que les membres de l'OPP lillois auront «à cœur de lui donner des pistes de réflexion» à travers ces futurs travaux.

Encore faut-il que cette mission d'observation soit comprise par la police et tolérée sur le terrain. Dans un rapport montpelliérain relatif aux obstructions exercées par les forces du maintien de l'ordre sur les observateurs LDH, on lit ces paroles rapportées d'un policier s'adressant à une observatrice, pendant une manifestation des gilets jaunes : «Dégagez, vous passez pas ; ça commence à bien faire, partez ! Vous nous embêtez, vous n'êtes pas objective : vous ne filmez que la police. Respect à la loi, donc vous partez.» Pas sûr que les policiers lillois soient mieux disposés que leurs collègues de l'Hérault. 

Dans un communiqué de réaction à la création de l'OPP, le préfet du Nord, Michel Lalande, dégaine ses chiffres: «Une seule plainte pour violence policière a été recensée depuis le 17 novembre [début du mouvement des gilets jaunes]. En revanche, depuis cette même date, 655 interpellations ont été réalisées par les services de police pour des faits de violences, de dégradations de participation à un attroupement…» Bref, pour le préfet «cet Observatoire a pour seule ambition d'éluder les pratiques des organisateurs de manifestations qui admettent en leur sein des individus violents, voire le revendiquent, confondant ainsi liberté de manifester avec liberté de dégrader les biens et d'outrager les personnes dépositaires de l'autorité publique».