Menu
Libération
Récit

Georges Pompidou : à droite, la nostalgie pour programme

L’ancien président, dont un colloque célèbre jeudi et vendredi le cinquantenaire de l’élection, sert de valeur refuge à des Républicains déboussolés par leur déroute électorale.
Bain de foule de Georges Pompidou lors des cérémonies du 11 novembre 1969 sur les Champs-Elysées, un «âge d’or» regretté par des politiques confrontés aux difficultés d’aujourd’hui. (Photo Keystone. Gamma-Rapho)
publié le 19 juin 2019 à 19h56

Privée de leader, à court d'idées et incapable de se reforger un corpus idéologique, la droite, en quête de modèle, se tourne vers Georges Pompidou - dont le cinquantenaire de son accession à l'Elysée est célébré cette année. A droite, tout le monde s'en réclame. François Fillon, dans sa campagne présidentielle, ne cessait de le citer. Le Sarthois avait même remis au goût du jour le fameux «il faut cesser d'emmerder les Français».

Il faut dire que sa présidence, brutalement interrompue par son décès le 2 avril 1974, a tout pour séduire. Dans ces années-là, la richesse française croît de 5,5 % par an en moyenne. Au sein de ces fameuses Trente Glorieuses, la France connaît alors les «Dix Prestigieuses», selon le mot de Bernard Esambert, ancien collaborateur du président de la République et président de l'Institut Georges-Pompidou. Le natif de Montboudif, dans le Cantal, pousse à l'industrialisation presque à marche forcée quand aujourd'hui les politiques de tout bord s'alarment de la désindustrialisation de l'économie hexagonale. Le taux de chômage ne dépasse pas les 1,6 % tout au long de cette décennie. Se référer à Pompidou, c'est évoquer un âge d'or, une France vue comme une Arcadie. «Pompidou représente l'aspiration au bonheur tranquille», résume Guillaume Larrivé, député LR, dans une France encore fortement rurale et aux valeurs plutôt conservatrices d'autant plus raffermies après Mai 68 et auxquelles le normalien agrégé de lettres colle parfaitement.

«Aujourd'hui encore, les Français aspirent à l'optimisme et réclament de la stabilité, de la paix, surtout après la crise des gilets jaunes», poursuit Alain Pompidou, le fils de l'ancien président. «Il savait donner du sens aux choses et donne encore cette image d'un homme politique heureux», ajoute Aurélien Pradié, le député LR du Lot (33 ans) et fervent admirateur du deuxième président de la Ve République, trop jeune pour garder en mémoire des souvenirs de ce mandat. Il monte d'ailleurs une exposition itinérante consacrée à l'ancien chef d'Etat, avec pour fil conducteur «Pompidou et le doute», qui sera présentée dans le Lot dès le 14 juillet et à la questure de l'Assemblée nationale à la mi-octobre.

«Nos racines et la modernité»

Cette année de commémoration est notamment marquée par la tenue d’un colloque jeudi et vendredi, organisé à Paris par l’Institut Georges-Pompidou. Il devait être ouvert par Emmanuel Macron, finalement retenu par une réunion européenne, et sera clos par Nicolas Sarkozy avec Valéry Giscard d’Estaing comme grand témoin. Laurent Wauquiez aura l’honneur d’ouvrir le bal.

Le patron de la région Auvergne-Rhône-Alpes baptisera le grand amphithéâtre du conseil régional du nom de l'ancien président de la République. Un hommage à cet homme né dans la région qu'il préside, mais pas seulement. Alors qu'il était encore président de LR, Wauquiez ne manquait pas de se référer à Pompidou, dont la photo trônait dans son bureau de la rue de Vaugirard à côté du Nœud gordien, son livre de réflexions politiques publié après sa mort et qui vient d'être réédité (1). Même origine régionale, même parcours universitaire – agrégation et Normale Sup –, il n'en fallait pas plus à Laurent Wauquiez pour revendiquer l'héritage.

«On peut à la fois défendre nos racines et la modernité, construire la renaissance de notre pays, mais sur des fondations solides et non sur les ruines de nos valeurs. C'est ce qu'avait si bien compris Pompidou, lui qui était à la fois l'homme du Cantal et du centre Beaubourg, car c'est cela la France», rappellera-t-il lors d'un meeting dans le sud de la France pendant la campagne interne. L'homme, selon lui, est le dernier «à avoir su concilier la vision, c'est-à-dire la capacité à concevoir la France à un horizon de vingt ans, et la relation charnelle avec le pays. Les pieds dans la terre et la tête dans les nuages, c'est la force magique de Pompidou, homme de lettres appréciant tout autant un verre de vin rouge dans un bistrot du Cantal que la poésie et l'art contemporain. Il est le dernier à avoir su réconcilier l'élite et la France populaire». Ce qu'aurait rêvé d'incarner Laurent Wauquiez, qui aura vu se détourner de lui le peuple de droite sans parvenir à séduire les classes populaires soucieuses d'ordre et sensibles aux discours sur la lutte contre l'immigration.

«Doctrine sociale»

«A droite, la référence au gaullisme s'impose naturellement. Sauf que personne ne peut prétendre inscrire ses pas dans ceux du libérateur de la France. En revanche, se réclamer de Pompidou est plus aisé et personne ne peut contester son bilan, alors que celui de Chirac, qui reste malgré tout une référence, est plus contrasté», résume un député LR, selon lequel «tout ça fleure quand même la nostalgie». «Entendre Wauquiez mettre ses pas dans ceux de Pompidou, c'est une énorme blague. Il n'a aucune légitimité. Rien à voir. Pompidou était sincère et plein d'empathie avec les gens. Ce n'est pas le cas de Wauquiez», flingue sous couvert d'anonymat un baron de LR.

«Le seul qui présente quelques similitudes avec Pompidou, c'est Raffarin. Les deux hommes partagent les mêmes origines provinciales, la même rondeur, la même affection pour les gens, et tous les deux avaient en commun cette capacité à prendre des décisions et à mener une équipe gouvernementale», juge le maire de Meaux et ancien patron de l'UMP, Jean-François Copé, ministre à plusieurs reprises dans les gouvernements Raffarin. «Et puis Pompidou a poursuivi ce qui avait été entamé par De Gaulle, c'est-à-dire chercher à ouvrir la base gaulliste aux centristes pour bien asseoir sa majorité. Tout le contraire de ce qu'a cherché à faire Wauquiez. Au bout du compte, il se retrouve à 8 %» aux dernières européennes, note un autre parlementaire LR.

Pour espérer sortir de l'ornière, «LR doit aujourd'hui élaborer une nouvelle doctrine. Le parti peut le faire en s'inspirant de la politique menée par Georges Pompidou en l'actualisant bien sûr», estime Alain Pompidou. «Et surtout en s'inspirant de sa doctrine sociale. Dans un de ses discours face au patronat, il leur avait rappelé qu'une de leurs responsabilités majeures était de faire progresser la société», ajoute le néopompidolien Aurélien Pradié. «Les peuples heureux n'ayant pas d'histoire, je souhaiterais que les historiens n'aient pas trop de choses à dire sur mon mandat», avait répondu Georges Pompidou à une question de Paris Match. Tout l'inverse de LR, où les histoires internes font couler beaucoup d'encre et où, lorsqu'on n'a plus rien à dire, on invoque les mannes de Georges Pompidou.

(1) Le Nœud gordien, de Georges Pompidou, éd Perrin.