Il donne rendez-vous au soleil. Pascal Garbarini a ses habitudes matinales dans un café d’une île de beauté très parisienne, celle de la Cité. Le bar se nomme le Caveau du palais. Ici se sont longtemps croisés les magistrats et avocats les plus en vue du pays. A elle seule, l’enseigne raconte la gloire passée et la fonction de mise à l’ombre d’un tribunal fameux qui a migré vers la périphérie.
Mais il en faudrait plus pour que le pénaliste de 55 ans renonce à ses rituels. Il se lève à l'aube dans son appartement de Neuilly, avant de rejoindre la salle de boxe pour y dérouiller son swing. Sapé comme un milord, cravate, pochette, boutons de manchette, il passe ensuite au Caveau feuilleter les journaux et discuter avec les serveurs. Avant, d'une démarche chaloupée par les courbatures, de regagner son cabinet «prospère» de l'autre côté de la Seine où l'attendent ses trois ou quatre collaborateurs et un mug fumant à l'effigie de Napoléon. Le cliché éculé du Corse bonapartiste ne fait pas peur à celui qui rejouait la bataille d'Austerlitz avec ses figurines et confesse un attrait pour «les gens sortis du rang, et du lot».Mais «Garba» insiste sur la distance prise avec un passé inféodé à une cause qui n'est plus la sienne : «Cette quête identitaire, je m'y suis fourvoyé. Elle était un signe de repli. La corsitude, comme principe de vie, c'est une fermeture au monde. Une étroitesse d'esprit qui nous tue.»
Il fut l'avocat des natios. Il était proche du FLNC-Canal historique. Il a porté le cercueil de François Santoni, chef de guerre qui avait deviné chez lui «le besoin d'un père de substitution» et ne ménageait pas le «bon petit soldat, dévoué et heureux de l'être». En ces années de plomb, Garbarini a vu de près le sang et la poudre, les alliances et les trahisons, les meurtres et les exécutions. Ce qui peut finir par affoler. Garba a aussi assuré la défense d'Yvan Colonna qu'il persiste à croire innocent du meurtre du préfet Erignac. Lors du procès, Garba était aux côtés de Gilles Simeoni et Antoine Sollacaro. Le premier est désormais l'un des principaux élus de l'île. Le second a été abattu. Garba, lui, a pris du champ, par mesure de salubrité personnelle. Il a développé une autre clientèle. Il traite d'affaires financières et de crime organisé, et rencontre la faveur des meurtrières. S'il accepte encore de nombreux dossiers corses, ce fou de ciné préfère souligner qu'il plaide pour des acteurs comme Delon, Magimel ou Cluzet.
Au palais, ses amis comme ses détracteurs admettent qu'il a évolué. Ils notent que «la colère, sinon la fureur, semble moins prête à exploser qu'auparavant». S'il ne dit sans doute pas tout dans ce récit de vie qu'il vient de publier, Garba y fait preuve de lucidité rétrospective. Il sait qu'en Corse la mémoire dure longtemps, que les ardoises s'effacent rarement et qu'on échappe mal aux déterminismes locaux. Il constate : «Les attaches familiales, les alliances féodales, les ancrages géographiques dictent à chacun sa conduite. Il est très difficile d'exercer son libre arbitre. Un code non écrit prévaut. Nul ne peut fermer sa porte à un fugitif. On n'humilie pas un homme devant ses enfants. C'est le règne des services rendus petits ou grands, à charge de revanche.» Et il insiste : «La Corse, bien souvent, parle au cœur, aux tripes. Pas à la raison.»
Aujourd'hui, Garba critique les nationalismes et se revendique «européen». Ce père de deux étudiants qui vivent sur l'île aime à raconter comment, avec sa nouvelle épouse, avocate en droit du travail, il découvre les pays nordiques et l'Allemagne dont elle est originaire. Cet été, ils seront à Rome et en Mongolie. Ce qui ne l'empêchera pas de revenir au village pour le 15 août.
Surtout, Garbarini détaille avec franchise une relation au père compliquée. Il a peu connu le sien et a été élevé par son grand-père. Tourneur puis boxeur, celui-ci a fait carrière dans la police. Il aurait tout donné pour que son petit-fils fasse l'ENA et devienne haut fonctionnaire. Il aurait sûrement détesté qu'il prenne la robe et défende les poseurs de bombes, puis les gibiers de potence. «Socialiste et républicain», l'ancien était d'un patriotisme sourcilleux et considérait les indépendantistes «comme des terroristes». Garba, lui, revendique son appartenance à la génération Mitterrand. Il situe son divorce avec le PS du moment où Jospin a décrété n'accepter l'héritage que «sous bénéfice d'inventaire». Tout comme il réprouve les manquements des frondeurs envers Hollande. Il se défie «du cynisme des Brutus et des lâcheurs». La fidélité pleine et entière à une histoire, à une lignée et à un chef semble encore le structurer. Résultat, ce progressiste sociétal s'est abstenu à l'époque Sarkozy. Et a volé au secours de Fillon qu'il estimait abusivement accusé de recel de… costumes.
Garbarini n'est pas né en Corse, ce qui incite parfois à en rajouter quand on veut se faire accepter. Il y débarque à l'âge du collège quand son grand-père prend sa retraite. Ravi, le gamin apprend à chasser et à dépecer le sanglier, «à pêcher la truite, à couper du bois et à trouver des cèpes». Au début, Pascal porte encore le nom à consonance alsacienne de son géniteur. Traité de «sale juif», le pinzutu rétorque à coups de poingtandis que l'aïeul manœuvre habilement pour que son patronyme saute une génération. Cela se règle à la corse, à l'«usu corsu», entre accord tacite et ascenseur à renvoyer.
Cinéphile, Garba apprécie Chaplin, Cassavetes ou Welles. Mais il vénère Melville dont les affiches de film peuplent les murs de son bureau. Et si Faye Dunaway l’émeut, son admiration pour Delon coule de source. Ils ont beaucoup en commun, même si la ressemblance physique n’est pas parfaite. Ils ont en partage le sens de l’amitié, le respect de la parole donnée, la recherche d’une figure d’autorité, le goût pour les limites frôlées, sans oublier l’attraction pour la canaille.
Garbarini a déjà joué un président de cour d'assises dans un long métrage. L'acteur de hasard se promet surtout de vider son sac à histoires scabreuses et à destins contrariés afin d'y trouver matière à scénarios. Expert par fonction en tragédies corsées, ce fan de The Wire salue la série Mafiosa pour «la noirceur et la profondeur des deux dernières saisons».
La mort est une compagne qu'il a beaucoup côtoyée mais qu'il s'attache désormais à tenir à distance, même si sa clientèle l'y ramène souvent et si le risque perdure. Pour autant, il sait déjà comment ça finira. Laïque, son grand-père s'était évité le passage par l'église. Catholique, Garbarini ne se refusera ni la messe avec le Stabat Mater et les polyphonies ni l'enterrement sous le signe de la croix. Preuve qu'on n'échappe pas à son futur.
1963 Naissance à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).
1973 Installation près d'Ajaccio.
1991 Prête serment.
1995 et 1998 Naissance de ses fils.
2007 et 2009 Procès d'Yvan Colonna.
Juin 2019 Ma Robe pour armure (Harper Collins).