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Canicule : pourquoi les «48°C ressentis» annoncés sont à tempérer

Plusieurs médias ont partagé des cartes alarmistes sur la chaleur ressentie annoncée cette semaine, mais Météo France invite à nuancer l'indice sur lequel ils se fondent.
La présentatrice météo Chloé Nabédian et la carte de la mort, dimanche soir au JT de France 2. (Capture d'écran France 2)
publié le 24 juin 2019 à 17h25
(mis à jour le 24 juin 2019 à 17h32)

On connaissait la «température ressentie» des vagues de froid ; voilà maintenant celle des vagues de chaleur. Elle a fait une percée fracassante dans l'espace médiatique ce week-end, vu le cagnard annoncé pour cette semaine. C'est BFM TV qui a ouvert le bal samedi, dans un tweet viral qui a donné un bon coup de chaud par anticipation à pas mal de gens : il annonce en effet la possibilité que les températures montent «jusqu'à 48 °C ressentis avec l'humidité». Une hypothèse accompagnée par une carte un tantinet alarmiste dans laquelle tout le nord de la France se retrouve coloré d'un noir charbonneux suggérant que de Saint-Malo à Reims, en passant par Paris et Lille, nous ne serons plus que des chipolatas alignées sur une grille de barbecue.

Sur quoi peut donc se fonder BFM TV pour annoncer de telles températures ? La chaîne ne livre pas beaucoup d'informations dans son article. Il fallait se tourner vers le JT de France 2 dimanche soir : la source est vraisemblablement un indice nommé «Humidex», «inventé par les Canadiens», selon Chloé Nabédian, présentatrice météo de la chaîne publique. Et celle-ci d'expliquer que cet indice mesure le «facteur aggravant» de l'humidité : «A Paris, on attend 39 °C au plus fort de l'épisode, mais le taux d'humidité dans l'atmosphère sera de 80 %. Résultat, le ressenti ne sera pas 39, mais 47.»

Déjà partie prenante dans l'établissement de «l'indice de refroidissement éolien» (qui permet d'estimer la température ressentie en hiver en tenant compte de l'impact du vent, expliquions-nous en février 2018), le Canada se retrouve donc aussi en pointe en cas de forte chaleur. Sur le site officiel du Canada, on apprend ainsi que l'Humidex est «une innovation canadienne utilisée pour la première fois en 1965». Relevons toutefois qu'auparavant, le site officiel du service météorologique du Canada attribuait la parenté de cet indice à deux chercheurs (canadiens) qui l'auraient conceptualisé en 1979. La généalogie de l'Humidex ne semble donc pas très claire y compris dans son pays d'origine.

Un indice, pas une température

Tout comme le «refroidissement éolien», l'Humidex, on l'a écrit mais arrêtons-nous dessus un instant, est un indice. Autrement dit, le résultat d'une équation dans laquelle la température mesurée par un thermomètre est pondérée par d'autres éléments (et notamment l'humidité). C'est-à-dire que son résultat n'est en aucun cas une température au sens strict, et que quitte à s'y référer, il faut faire comme Chloé Nabédian, qui a bien veillé à ne pas dire «le ressenti sera 47 degrés» – contrairement à BFM TV ou la Chaîne météo, qui mettent des degrés partout. On ne peut donc pas dire qu'il va faire 47 °C ou 48 °C cette semaine. On peut en revanche dire que l'Humidex mesure un «niveau d'inconfort» – ainsi, avec un Humidex entre 40 et 45, on ressent «beaucoup d'inconfort», et à partir de 46, un coup de chaleur est «possible».

Comme tout indice, l'Humidex peut faire l'objet de critiques et de débats. C'est le cas dans sa terre natale, où le Devoir a publié un article relativisant son emploi : «L'Humidex n'est pas trompeur. C'est une tentative raisonnable de dire aux gens comment ils pourraient se sentir s'ils sont dehors en train de jouer au tennis. Mais d'un point de vue scientifique, ce n'est pas un chiffre que j'utiliserais», y explique ainsi Peter Taylor, professeur de sciences atmosphériques à l'université York (Toronto, Ontario). On peut par exemple lui reprocher de ne pas tenir compte du rayonnement solaire, contrairement à «l'indice de température au thermomètre-globe mouillé» élaboré aux Etats-Unis.

«On est un petit peu étonnés de voir sortir une carte comme ça»

En France, Météo France n'accorde pas beaucoup de crédit à l'Humidex. Si l'établissement public chargé de la météorologie a adopté l'indice de refroidissement éolien pour les vagues de froid, car «sa formule a été bien calée avec des retours du terrain», il n'en va pas de même avec cet autre outil canadien qui n'est «pas encore universellement reconnu par la communauté scientifique», explique à Libération Olivier Proust, prévisionniste chez Météo France. Il ne cache pas son agacement face au tweet de BFM TV : «On est un petit peu étonnés de voir sortir une carte comme ça, avec des valeurs comme 48 sur la moitié nord. Il n'y a pas de mise en perspective, de comparaison avec ce qu'on a connu, donc ça donne des valeurs flippantes.»

L'idée de tenir compte de l'humidité n'est pourtant pas absurde. «Quand il fait chaud, votre corps produit de la sueur, qui va s'évaporer plus ou moins efficacement suivant l'humidité de l'air. Plus l'air est sec, plus elle s'évapore facilement, refroidissant son environnement. On comprend donc que si l'air est saturé d'humidité, vous allez avoir du mal à faire évaporer votre transpiration. C'est ce qui se produit lorsqu'on atterrit dans les tropiques, où l'on étouffe à 30 °C, alors qu'habituellement on peut boire un coup en terrasse à 35 °C», explique Olivier Proust. Pour déclencher une vigilance orange canicule, Météo France intègre donc la question de l'humidité, mais il privilégie d'autres facteurs. En premier lieu, le fait que les températures ne baisseront pas suffisamment la nuit pour permettre au corps de se reposer, et ce trois jours de suite.