Ni hasard ni coïncidence. L'Autorité de la concurrence a rendu publiques, le même jour, une série de sanctions concernant des huissiers et des notaires. Ainsi, les 25 études d'huissiers des Hauts-de-Seine ont été condamnées à 125 000 euros d'amende. Un groupement de notaires de Franche-Comté écope, lui, d'une pénalité de 250 000 euros. A chaque fois, ce sont des mécanismes d'entente qui leur sont reprochés. Ces deux professions sont en effet dotées d'un statut particulier. Il n'est pas possible, à la différence du métier d'avocat, de s'installer librement comme notaire ou huissier. Il faut passer par un système complexe d'autorisations géré par le ministère de la Justice. Résultat, la profession est régie par une sorte de numerus clausus, régulièrement contesté par les instances européennes, qui garantit un volume de chiffre d'affaires à chacun de ces auxiliaires de justice.
C'est justement ce qu'a voulu modifier une loi votée en 2015 à l'initiative du ministre de l'Economie de l'époque, Emmanuel Macron. Ce texte a pour vocation de faciliter la création d'études notariales ou d'huissiers et de rendre les tarifs des prestations, jusque-là fixés par l'Etat, plus concurrentiels. Pour avoir tenté de contourner cette nouvelle donne, les huissiers des Hauts-de-Seine et les notaires de Franche-Comté ont été mis à l'amende par l'Autorité de la concurrence. «Certains ont voulu maintenir de règles anciennes et bloquer l'arrivée de nouveaux professionnels, indique à Libération Isabelle de Silva, la présidente de l'Autorité de la concurrence. Les sanctions n'atteignent pas des montants considérables, car nous avons d'abord voulu faire passer un message.» Et peut-être une sorte d'avertissement à ceux qui ne voudraient pas, à l'avenir, en tenir compte…
Ticket d’entrée à 300 000 euros
Dans la première affaire, les huissiers des Hauts-de-Seine sont à l’origine d’un bureau commun dans leur département. Objectif : mutualiser leurs moyens dès lors qu’il s’agit d’aller délivrer une assignation ou signifier un acte officiel ou un jugement. Des tâches très chronophages car elles impliquent beaucoup de déplacements. En mettant en commun leurs moyens, les 25 huissiers du département ont donc réduit leurs coûts. Seul hic, lorsque la loi dite Macron a permis l’installation de nouveaux huissiers, leurs confrères déjà installés dans les Hauts-de-Seine ont instauré une règle. Pour bénéficier du service commun déjà existant, il leur faut débourser la modique somme de… 300 000 euros. Un ticket d’entrée facturé au prix fort.
C'est justement ce genre de «péage» qui a fait tiquer l'Autorité de la concurrence. Les huissiers, eux, n'ont pas vraiment contesté les faits puisqu'ils ont accepté une procédure de transaction avec le gendarme de la concurrence. Un accord qui permet de réduire de 10 à 20% le montant de l'amende. En échange, ils ne peuvent pas faire appel de cette décision. Pourtant, Renaud Diebold, huissier dans les Hauts-de-Seine et trésorier du bureau commun mis en cause, s'élève contre cette sanction : «La somme est anormalement élevée, c'est inique et nous n'avons jamais voulu bloquer tout nouvel entrant.»
Tarif unique
En Franche-Comté, les notaires poursuivis se voient reprocher d'avoir instauré «une grille unique de tarifs» pour des prestations immobilières. En clair, les notaires ont la possibilité d'avoir un mandat de vente sur des biens immobiliers et pour cela, ils perçoivent une commission. Depuis la loi Macron, il est pourtant prévu que les notaires n'appliquent pas un tarif unique de leur commission. Le montant doit être négocié avec les vendeurs, comme c'est le cas avec les agents immobiliers.
C'est visiblement ce qu'ont voulu contourner une vingtaine de notaires de Franche-Comté réunis dans un groupement d'intérêt économique. Dans ce cas de figure, l'Autorité de la concurrence a été plus sévère, puisque la sanction atteint 250 000 euros. Contacté par Libération, Thierry Lussaud, le représentant des notaires concernés, estime «ne pas devoir commenter une décision prise par une autorité». Il semble en tout cas que le gendarme de la concurrence ne soit pas décidé à lâcher l'affaire : «Nous sommes encore plus vigilants, afin de vérifier s'il n'existe pas d'autres infractions du même type sur le territoire», prévient Isabelle de Silva.