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Affectif et acide, Sarkozy revient dans «Passions» sur son «chemin de vie»

L'ancien président de la République étrille ses semblables dans un livre de confidences retraçant son parcours politique. Pas de quoi annoncer un retour mais assez pour faire oublier pendant 360 pages ses affres judiciaires.
Nicolas Sarkozy, à Paris le 21 juin. (Photo Thomas Samson. AFP)
publié le 27 juin 2019 à 20h41

Pas des mémoires, encore moins un livre de réflexions politiques. Dans Passions, sorti en librairie mercredi (éd. de l'Observatoire) et accompagné d'une interview fleuve dans l'hebdomadaire le Point, Nicolas Sarkozy livre, à sa manière, son «itinérance parcourielle» pour reprendre les termes en vogue. «Un cheminement de vie» selon son expression. De son premier meeting à Nice en 1975 devant Jacques Chirac et Charles Pasqua jusqu'à son accession à l'Elysée, l'ancien chef de l'Etat retrace son parcours non pas seulement à travers des grands événements mais en évoquant des tranches de vie, des personnages qui l'ont marqué : «J'ai préféré parler de ce que j'ai vécu, sans ordre chronologique, sans souci thématique, sans arrière-pensée politique. Je veux parler de la vie.» D'où quelques portraits assez savoureux. Le tout raconté avec «sincérité» ne manque-t-il pas de surligner. Comme lorsqu'il affirmait «j'ai changé» en 2007, dans son discours d'investiture présidentielle.

«Ce n'est pas l'idée de la France qui m'ait jamais fait rêver», avoue Nicolas Sarkozy contrairement à un De Gaulle qui revendiquait d'incarner «une certaine idée de la France». Ce qui fait courir le joggueur Sarkozy, «c'est la volonté de gagner la confiance, et même l'amour des Français qui a toujours été au cœur de [son] engagement. La France, ce sont les Français et ce que chaque jour, ils décident d'en faire», écrit-il dans sa préface. En omettant au passage cet épisode du salon de l'Agriculture où il avait rembarré un de ces Français qu'il aime tant d'un «casse toi pov' con». A la lecture de son livre, on serait presque priés de comprendre qu'il s'agissait avant tout d'une marque d'affection.

«La duplicité me surprend toujours»

Tout au long de ces 360 pages, rédigées et préparées dans le plus grand secret par la maison d'édition, l'ancien chef de l'Etat revient sur des épisodes de combats, des drames comme celui de «Human Bomb», le preneur d'otages d'une classe de maternelle de Neuilly. Sarkozy, maire de la ville et ministre du Budget, ira lui-même négocier avec le forcené, un peu contraint et forcé par le patron du Raid qui ne lui avait pas laissé le choix. Mais surtout il évoque ses relations aussi affectueuses que tumultueuses avec Jacques Chirac pour qui l'indépendance était «une faute qu'il ne pardonnait pas», son admiration pour Edouard Balladur dont l'ancien chef de l'Etat est pourtant l'exact opposé. Il raconte également cette conversation un brin surréaliste avec François Mitterrand devant le tombeau de Tamerlan à Samarcande où le président socialiste, fatigué et guetté par la mort, lui enjoint «à la ténacité».

Sur Dominique de Villepin, que Nicolas Sarkozy avait menacé de «pendre à un croc de boucher» au moment de l'affaire Clearstream, il écrit : «On ne peut pas dire que nous nous entendions mal.» Une litote pour dire qu'ils se détestaient. Il avoue même «sans tout comprendre. Mais y avait-il toujours quelque chose à comprendre ? Rien n'est moins sûr, car emporté par son propre élan mon interlocuteur avait souvent du mal à atterrir». Une manière de dire que Villepin était «perché». Il témoigne également d'une réelle affection pour Philippe Seguin qu'il fera nommer à la présidence de la Cour des comptes. Celui-ci le préviendra avec pas mal d'années d'avance que François Fillon le trahirait. «Je n'ai jamais compris qui il était au plus profond de sa personnalité. La duplicité me surprend toujours», reconnaît l'ancien locataire de l'Elysée à propos de celui qui fut son Premier ministre pendant cinq ans.

«On ne décide pas d’être un recours»

Avant de mettre les pieds au palais de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, il lui aura fallu remporter la présidentielle de 2007 et surtout affronter son adversaire Ségolène Royal lors du traditionnel débat de l'entre-deux-tours : «J'étais convaincu qu'elle allait essayer de provoquer un véritable combat de rue. Je me convainquis donc de la nécessité du plus grand calme possible.» «Je me suis demandé […] si elle faisait preuve d'incompétence par volonté politique ou si plus vraisemblablement elle ne possédait ni la connaissance ni la compréhension des dossiers qu'elle abordait», écrit Nicolas Sarkozy, racontant avoir voulu la «pousser à l'exaspération». Ce qu'il est parvenu à faire.

Sarkozy, qui passe sous silence dans ce livre les poursuites judiciaires dont il fait l'objet, se défend de marquer d'un pavé littéraire son retour sur la scène politique, dont il n'est jamais véritablement sorti. L'ancien président de la République distille conseils, avis et recommandations aux ténors de la droite venus le consulter. Pas question pour lui de remettre les mains dans le cambouis de la politique partisane en reprenant les rênes de LR, par exemple. Mais Nicolas Sarkozy se livre également longuement sur sa vie privée, ne s'interdit rien. «Entre la France et moi, ce ne sera jamais fini, déclare-t-il dans le Point. On ne décide pas d'être un recours. On ne s'y prépare pas. On ne l'anticipe pas.» Mais rien n'empêche d'y penser tous les matins en se rasant.