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Marseille

Moustiques : la chasse au tigre est ouverte

Quinze ans qu’ils ont envahi la France en général et la côte méditerranéenne en particulier. A Marseille comme ailleurs les moustiques tigres passent à l’attaque avec les beaux jours et la saison s’annonce «intense». Risques, bons gestes, alternatives aux insecticides… le point sur les ripostes.
Blind mosquitoes, or aquatic midges are seen on a window at sunset at New Orleans Lakefront Airport in New Orleans, Tuesday, June 18, 2019. Billions of mosquito lookalikes are showing up in the New Orleans area, blanketing car windshields, littering the ground with bodies and even scaring some folks. They're aquatic midges, also called "blind mosquitoes," but these flies don't bite. However, the Motorist Assistance Patrol on the 24-mile-long Lake Pontchartrain Causeway has been stocking extra water to slosh down windshields. (AP Photo/Gerald Herbert) (Photo AP)
par Lucie De Perthuis, à Marseille
publié le 27 juin 2019 à 10h30

Lors des épisodes caniculaires, les moustiques tigres se cachent, préférant les climats humides aux chaleurs sèches. Un court répit en ce début d'été où le thermomètre explose les compteurs, car «la saison s'annonce plus intense que les précédentes», alerte Christine Ortmans, responsable du département veille et sécurité sanitaire à l'Agence régionale de santé (ARS). L'agence organisait mercredi une conférence de presse, réunissant plusieurs spécialistes de l'insecte, pour lancer, comme chaque année, une importante campagne de prévention et de communication.

Pourtant pas plus imposant qu'un moucheron, le moustique tigre, de son vrai nom Aedes albopictus, devient à partir du mois de mai une vraie plaie pour les Marseillais comme pour les estivants de la côte et un enjeu de taille pour les élus. Ce qui inquiète principalement l'ARS, c'est la propension des femelles à pouvoir être porteuses de maladies tropicales comme la dengue, le chikungunya et le virus zika, qu'elles transmettent après s'être préalablement nourries du sang d'un individu contaminé. Car depuis 2004, le moustique tigre a pris ses quartiers dans l'Hexagone et tous les départements de Provence-Alpes-Côte d'Azur ont été colonisés. Selon l'ARS, cinq cas autochtones (c'est-à-dire des personnes contaminées ici) de dengue ont été recensés dans la région en 2018.

Rompre la chaîne d’infection

En ce début de saison, l'agence a déjà reçu dix-huit signalements de cas importés de dengue, et un cas probable de chikungunya. Lorsque l'ARS est saisie d'un cas confirmé d'une des maladies tropicales, elle mandate son partenaire en charge de la démoustication, l'Entente interdépartementale de démoustication (EID), pour intervenir directement et rompre la chaîne d'infection, grâce à des produits insecticides, répandus sur un périmètre de 150 mètres. Une première opération de lutte antivectorielle a eu lieu mardi matin à Aix-en-Provence.

Au-delà de ces cas extrêmes, pour Patrick Padovani, adjoint en charge de la santé à la mairie de Marseille, la lutte contre les moustiques tigres est l'affaire de chacun : «Il est essentiel que tous les citoyens s'impliquent, apprennent à surveiller les points de ponte, et agissent en conséquence.» Même son de cloche du côté de l'ARS et de l'EID. «Il n'existe pas de solution miracle», selon Charles Jeannin, entomologiste médical. Le moyen le plus efficace étant, de l'avis de tous, la prévention.

En effet, 80% gîtes larvaires des moustiques tigres se développent dans des espaces privés. Les moustiques peuvent se reproduire dans de toutes petites quantités d'eaux stagnantes, dans des coupelles de plantes, du mobilier de jardin, des jouets pour enfants… «Il est important que chacun prenne ses responsabilités. Des petits gestes quotidiens vont permettre de diminuer la densité de moustiques», insiste Didier Moulis, directeur technique de l'EID Méditerranée. «On a l'impression d'être dans un système sans fin», déplore le docteur Francis Charlet, président de l'Association ciotadenne contre l'Aedes Albopictus (Acca). «Il faut réduire la prolifération par des gestes environnementaux pendant la phase larvaire, pour éviter d'avoir recours à des solutions chimiques», confirme Francis Charlet, qui mène des opérations de sensibilisation à La Ciotat, notamment en milieu scolaire.

Start-up de démoustication

Une jeune entreprise aixoise, Qista, propose depuis plusieurs années, une alternative à l'utilisation des produits chimiques. Pierre Bellagambi et Simon Lillamand, deux amis d'enfance originaire de Camargue développent, au cœur du technopôle d'Arbois, leur start-up de démoustication propre : des bornes, intégrées au mobilier urbain, qui émettent du CO2 recyclé et un cocktail olfactif naturel simulant la respiration humaine, attirant ainsi la femelle en recherche de proie. Elle est ensuite capturée, puis asphyxiée. Selon une expérimentation menée dans un village de Camargue, ce dispositif fait chuter jusqu'à 88% les piqûres, et est extrêmement sélectif, puisque 99% des insectes capturés sont des moustiques femelles.

«Notre technologie est un outil efficace de lutte, inoffensif pour l'homme comme pour la nature», affirme fièrement Pierre Bellagambi, qui espère exporter ses machines dans les régions où les moustiques sévissent le plus. En attendant, c'est en Camargue que ces boîtiers ont commencé à se multiplier. Marseille a fait un essai timide avec deux bornes installées dans des crèches du centre-ville, et de l'élu adjoint à la santé, elles fonctionnent plutôt bien. Un peu plus loin sur la côte, la municipalité d'Hyères a par exemple commandé cette année plus de 150 de ces équipements, pour un coût total de 700 000 euros. «Un investissement conséquent, mais la seule solution ce sont ces "capturateurs"», est persuadé Jean-Pierre Giran, maire LR de la commune du Var qui avoue s'être longtemps senti «démuni» avant d'opter pour les bornes aixoises «qui ont l'avantage d'être sans dégâts collatéraux pour l'homme comme pour la nature».

L'alternative semble donc peu à peu gagner du terrain. Pourtant, l'EID est loin d'être conquise. Pour l'entomologiste Charles Jeannin, «il est illusoire de penser pouvoir protéger une ville avec ces pièges». Ils ne sont en effet efficaces que dans un rayon maximal de 60 mètres, selon Qista, et doivent donc être multipliés. Reste à savoir si le dispositif, qui entre en service à Hyères dès vendredi à grande échelle, permettra de mettre cet été le tigre en cage.