A 44 degrés, on comprend mieux ce que doit ressentir un poulet quand on le met dans un four. Du moins ce qu’il pourrait ressentir, s’il était encore vivant… Sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, en plein cœur de Nîmes, une seule silhouette cuit, impassible, sous le soleil au zénith : celle d’une énorme statue de taureau, l’animal-totem omniprésent dans cette ville taurine. Tout autour, le vaste espace est quasi-désert.
Même la fontaine se désole, au centre de la place : personne n'est parvenu jusqu'à elle. Des bourrasques d'un vent brûlant soulèvent une poussière sèche qui finit d'aveugler les rares passants. D'ordinaire, cette esplanade est sillonnée par des hordes de touristes et de badauds. Ce vendredi, les parcs pour enfants sont vides, le manège a gardé ses portes closes. La grande église Sainte-Perpétue, qui offre un havre de fraîcheur, se révèle tout aussi vide : personne n'a pensé se réfugier dans les bras du Seigneur. A l'extérieur, à l'ombre d'un arbre, un balayeur municipal transpire sous son gilet fluo, tête nue et sourire aux lèvres. «J'ai commencé le boulot à 8 heures et à 9heures, il faisait déjà chaud, raconte Sébastien, 21 ans. Mais non, je ne me plains pas. J'ai eu deux heures de pause entre midi et 14 heures, alors ça va…»
A quelques dizaines de mètres de là, les arènes romaines accueillent ce soir le chanteur Kendji Girac et le groupe Boulevard des airs. Peu importe le niveau d'alerte canicule : les fans ne renonceraient à ce concert pour rien au monde. «On a posé un jour de congé spécialement pour venir, racontent Nicolas et Barbara, un couple originaire de Meaux qui rase les murs, une carte à la main. On essaie de trouver un parc, un coin d'ombre… On n'a jamais eu aussi chaud. Même l'air ne rafraîchit pas. On va peut-être renoncer au parc et attendre le début du concert à l'hôtel…»
La tête enroulée dans une écharpe
Devant les arènes, des jeunes filles sont scotchées sous un arbre depuis 5 heures du matin, une impressionnante collection de bouteilles vides, de pots de crème solaire et de brumisateurs à leurs pieds. «On suit Kendji partout dans sa tournée», expliquent Léa, Loane et Déborah, comme une évidence. Elles tiennent le coup en écoutant des chansons de leur star et en s'arrosant la tête. «On a posé une chaise là-bas, tout contre les barrières, pour retenir notre place devant la scène», racontent les jeunes filles. Mais pour l'instant, elles n'ont rien à craindre : personne n'a encore imaginé faire la queue dès 14 heures en plein cagnard. Quand il faudra y aller, des anges gardiens veilleront sur ces fans : installée tout près des arènes, une association de bénévoles - les Rapid Relief Team - tient 3 500 bouteilles d'eau glacée à disposition.
Les rues adjacentes à l'esplanade sont elles aussi désertes. Les panneaux annonçant les soldes n'ont convaincu personne de mettre le nez dehors. Sauf ceux qui n'ont pas le choix, comme Mélanie, 27 ans, une handicapée qui pousse vaillamment les roues de son fauteuil. «Je dois aller à la pharmacie», explique-t-elle. Personne pour l'aider ? Elle sourit : «Je préfère être autonome.» Cette vieille dame qui avance péniblement, la tête enroulée dans une écharpe, n'avait pas non plus le choix : «Vous vous rendez compte ? J'ai 84 ans et ma kiné m'a donné rendez-vous aujourd'hui, en pleine canicule, à 14h30 ! Je l'ai sacrément enguirlandée… En plus, comme j'ai eu un cancer de la peau, je n'ai pas le droit au soleil… Du coup, la semaine prochaine, la kiné m'a dit qu'elle me prendrait à 7h30.» Cette dame ajoute qu'elle veut fuir Nîmes dès ce soir pour rejoindre son mazet, à l'extérieur de la ville, dans la garrigue, où il devrait faire moins chaud. Rien n'est moins sûr, pourtant.
Filet d’eau et pierre brûlante
Sur l’esplanade, on croise aussi ceux qui, quoi qu’il arrive, ne peuvent quitter Nîmes : des habitants des quartiers populaires, des migrants, des clandestins. On les voit traverser la place, torse nu, une serviette de plage posée sur la tête. Mais la mer est bien trop loin pour eux. Alors ils se retrouvent sur l’avenue Feuchères, qui relie l’esplanade à la gare. Là, ils s’assoient sur un rebord de pierre brûlant et glissent leurs pieds dans le filet d’eau qui court le long de l’avenue. Un Guinéen rassemble les quelques mots qu’il connaît en français pour assurer que non, dans son pays, il ne fait pas aussi chaud qu’ici. Ces jeunes resteront là jusqu’au soir, les pieds dans l’eau, la borne-fontaine à portée de main. Vendredi, le Gard a battu le record de la plus forte chaleur jamais enregistrée en France, avec 45,9 degrés relevés dans une commune voisine de Nîmes.