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Libération
Décryptage

Retraites : le terre à terre avant le «big-bang»

Selon Emmanuel Macron, ce devait être la grande réforme qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait réussi à réaliser. Or la mise en place d’un système universel par points ne cesse d’être repoussée et devrait être précédée de mesures d’allongement du temps de travail très «ancien monde».
Lors d’une manifestation de retraités à Paris, le 31 janvier. (Photo Cyril Zannettacci. VU)
publié le 30 juin 2019 à 19h06

«L'été 2019.» C'était l'horizon fixé il y a un an et demi par Macron pour «finaliser […] l'ensemble des textes» de son «grand chantier» de la réforme des retraites : fusionner tous les régimes actuels en un système «universel», «par points», où, selon le slogan martelé par la majorité, «1 euro cotisé donnera les mêmes droits». Ces lourds travaux ont (au moins) un an de retard et l'exécutif prévoit finalement un chantier annexe : la modification des règles actuelles pour «inciter» les Français à «travailler davantage». Explosif.

Une «réforme Delevoye» sans cesse retardée

Officiellement, répond Matignon, il n'y a «rien d'arbitré». La seule et unique «réforme» dans les tuyaux de l'exécutif reste celle menée par le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye chargé de mettre sur pied, pour 2025, la promesse du candidat Macron d'un big-bang «systémique». Après des mois de «concertation» et un calendrier qui n'a cessé de s'étirer en longueur, l'ex-ministre de Chirac doit remettre, comme convenu, ses «recommandations» à la «mi-juillet», confirme-t-on dans l'entourage du Premier ministre. Mais alors que Philippe promettait il y a encore quelques semaines un projet en Conseil des ministres «pour septembre» et un vote par le Parlement avant fin 2019, c'est désormais beaucoup plus flou. «Le calendrier sera connu au moment de la remise du rapport, dit-on pudiquement. Il faut se donner du temps, que cette réforme soit comprise, financée.»

Un nouveau round de «concertation» avec les organisations syndicales va donc s'ouvrir sur la base des propositions Delevoye et amener le gouvernement à arbitrer sur les règles du futur système fin 2019 pour un débat au Parlement courant 2020. Manière d'enjamber habilement les élections municipales… ou d'étouffer à petit feu une réforme que certains en macronie trouvent beaucoup trop complexe et risquée. Le haut-commissaire à la réforme n'est pas dupe : la semaine dernière, il a ainsi expliqué qu'attendre le projet de loi «un ou deux mois de plus, ce n'est pas un souci […] si le délai consiste à approfondir le sujet». Mais «s'il consiste à essayer d'enterrer le sujet», il exigera «que les choses soient clarifiées», a-t-il mis en garde. «La réforme, on va la faire», jure-t-on à Matignon.

«Travailler davantage» pour boucher les trous

Promis, juré, Macron n'allait pas faire comme ses prédécesseurs : toucher aux paramètres actuels du système des retraites (niveau des cotisations, report de l'âge légal ou augmentation de la durée de cotisation) comme l'ont fait avant lui Chirac (Fillon 2003), Sarkozy (Woerth 2010) et Hollande (Touraine 2014). «Nous n'avons pas besoin d'une énième réforme d'ajustement des paramètres pour faire des économies de court terme sur le dos des retraités», affirmait-il au printemps 2017. Ou encore en janvier 2018 : «Je refuse […] les approches comptables qui rognent des droits sans offrir de nouvelles perspectives.»

Le chef de l'Etat s'est pourtant résolu à faire comme les autres : après avoir vu le chef du gouvernement et son ministre de l'Economie et des Finances s'interroger sur la nécessité de «travailler plus longtemps» pour financer les dizaines de milliards d'euros nécessaires à la mise en œuvre de la future réforme de la dépendance, Macron a déclaré lors de sa conférence de presse du 25 avril vouloir faire «travailler davantage» les Français pour… boucler les futurs budgets de l'Etat et de la Sécurité sociale. Il faut dire que les dépenses sociales post-gilets jaunes (prime d'activité, heures supplémentaires défiscalisées…) et post-grand débat national (baisse de l'impôt sur le revenu dès 2020) demandent à être financées si l'exécutif veut tenir ses promesses : ne faire aucune hausse d'impôt tout en réduisant le déficit public.

Sans toucher (engagement de campagne oblige) aux 62 ans, âge à partir duquel on est (sauf exception) autorisé à partir à la retraite, le Président a émis l'idée d'une «décote» avant une autre borne d'âge pour «incite[r] à travailler plus longtemps». Dans sa dernière déclaration de politique générale, Edouard Philippe a lui parlé d'un «âge d'équilibre» - néologisme pour parler d'«âge pivot» - à 63 ou 64 ans : en dessous, les Français seraient autorisés à liquider leurs droits mais avec une moindre pension.

Autre solution envisagée par l'exécutif : «accélérer» l'allongement de la durée de cotisation prévu par la réforme Touraine de 2014. Cette dernière prévoit d'augmenter petit à petit le nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier d'une retraite à taux plein avant 67 ans : de 167 pour la génération née en 1958-1960 à 172 pour ceux nés à partir de 1973. Pour faire entrer rapidement plusieurs milliards dans les caisses de l'assurance vieillesse, le gouvernement pourrait ainsi demander 172 trimestres dès la génération née en 1963.

Face à des syndicats (CFDT comprise) qui s’opposeront à ces propositions, l’exécutif pourra toujours s’appuyer sur le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites qui souligne qu’à système constant un retour à l’équilibre financier du régime n’est pas attendu, selon les meilleures projections, avant 2042. Soit six ans de plus que ce qu’il prédisait lui-même l’an dernier.

Le risque de mélanger deux réformes

Si Macron s'était au départ refusé à faire une réforme «paramétrique» pour privilégier le big-bang «systémique», c'était justement pour éviter de se retrouver dans cette situation : «Sur le terrain, on ne me parle plus de la réforme Delevoye mais on me demande si on va devoir travailler plus longtemps, s'agace Corinne Vignon, députée LREM de Haute-Garonne et présidente du groupe de travail transpartisan à l'Assemblée nationale sur la réforme des retraites. Pour moi, toute cette histoire ne crée que de la confusion.» «On est au tout début du débat», tempère de son côté le chef de file du groupe LREM sur les retraites, Laurent Pietraszewski. Sa camarade aimerait cependant des éclaircissements rapides de la part de l'exécutif et alerte sur le risque de se mettre à dos toute une génération de futurs retraités : «On va vraiment dire aux gens prêts à partir à la retraite qu'ils vont devoir faire des trimestres en plus ? Il va falloir vérifier que ce qui sera proposé ne percute pas la réforme Delevoye.»

Difficile de l'éviter : en cas de modifications des règles de départ en retraite pour financer en partie les baisses d'impôts de 2020, le gouvernement n'a guère d'autre choix que d'utiliser le projet de financement de la Sécurité sociale de cet automne. Soit, si on suit bien Matignon, en pleine nouvelle «concertation» entre le haut-commissaire et les syndicats. Le gouvernement voudrait faire échouer ces discussions qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Or, un départ de Delevoye, personnalité politique reconnue et appréciée des marcheurs historiques, et une unité retrouvée des syndicats dans la rue viendraient ruiner toute la com déployée ces derniers mois par l'exécutif d'un pouvoir enfin «à l'écoute», bien décidé à adopter une «nouvelle méthode».