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Libération
David contre Goliath

Belfort : «Si on reste chez GE, on est morts, ils veulent tout casser»

L'intersyndicale de General Electric n'a pas obtenu la suspension du plan social qui prévoit 1 044 suppressions de postes dont près de 800 à Belfort. Son porte-parole, Philippe Petitcolin cherche des alternatives à l'américain et demande à l'Etat de mettre la pression sur GE.
Après l'annonce de la suppression d'un millier de postes par le géant américain General Electric (GE), toute la ville défile, le 22 juin, dans les rues de la citadelle industrielle pour soutenir les salariés. (Photo Pascal Bastien )
publié le 2 juillet 2019 à 19h07

Ils espéraient gagner du temps en ouvrant la bataille sur le front judiciaire. Cette première manche est perdue pour l’intersyndicale de GE Belfort (CGE-CGC, SUD, CGT). Après l’audience en référé de jeudi, le tribunal de grande instance de Belfort vient de rendre son verdict en rejetant la requête des syndicats. Ils réclamaient la suspension du plan social qui menace l’usine belfortaine de turbines à gaz. Au lendemain des européennes, le conglomérat américain a annoncé 1 044 suppressions de postes, dont 792 rien que pour l’entité turbines à gaz qui emploie actuellement 1 760 personnes. Cette annonce a été faite alors même que GE n’a pas sérieusement cherché à relancer l’activité du site. Selon la loi, le plan social n’arrive qu’en dernier recours.

«Ce n'est pas une fois que les gens sont dehors qu'on peut chercher à diversifier, argumente Philippe Petitcolin (CGE-CGC). Les pistes n'ont pas été étudiées en détail. Ils n'ont jamais cherché à limiter l'impact a priori.» Quand en août 2018 GE informe les représentants du personnel élus membres du CSE de la «sous-charge» de l'usine, ces derniers ont obtenu qu'une commission étudie des pistes de diversification. «C'était un leurre, jamais l'aéronautique n'a été envisagée par exemple», tranche Philippe Petitcolin. Mais l'argument n'a pas tenu face à celui de GE qui estimait que le TGI n'était pas compétent en la matière. Il renvoie en effet au tribunal administratif. Une réponse qui sonne creux pour l'intersyndicale : «c'est un vide juridique, le tribunal administratif et la Direccte ne sont compétents que sur la forme du plan social et non sur le fond», poursuit Petitcolin, indiquant que l'Intersyndicale pourrait faire appel de la décision. Car le temps presse.

Compte à rebours

Les deux blocages de l’usine par les salariés et la population belfortaine, les 17 et 21 juin, ont permis d’empêcher la tenue de la première réunion de la procédure d’information-consultation qui lance officiellement le plan social avec son compte à rebours de quatre mois. Et c’est dans l’intervalle que les syndicats se sont empressés de saisir la justice pour tenter d’arrêter le rouleau compresseur américain, en vain. Bien que restée à la porte de l’usine par deux fois, la direction, considérant que ce n’était pas de son fait si les syndicats ne s’étaient pas assis à la table des négociations, a lancé le plan social. Les lettres de licenciements pourraient arriver à l’automne.

Mais l'intersyndicale a d'autres cartes dans son jeu. Après la manif du 22 juin à Belfort qui a réuni plus de 6 000 personnes en soutien aux salariés de GE, la bataille se livre plus que jamais sur le front politique. Depuis plusieurs semaines les politiques, élus, chefs de partis (ministres, un peu moins) de tous bords se pressent au chevet de l'usine, de Nicolas Sarkozy à Jean-Luc Mélenchon. Belfort est devenue une étape, voire un lieu de pèlerinage. Lundi, c'est l'ancien maire de la ville et ministre de l'industrie, Jean-Pierre Chevènement qui rencontrait l'intersyndicale : «Nous sommes en relation avec lui depuis six mois sur la stratégie défensive à adopter et la diversification dans l'aviation, l'hydrogène, l'assemblage de réacteurs nucléaires mobiles…»

Quelques jours plus tôt, c'est Arnaud Montebourg qui est revenu. L'ex-ministre du redressement productif avait croisé le fer en 2014 avec Patrick Kron, patron d'Alstom, autour du rachat de la branche énergie par GE, avant de passer le relais à son successeur à Bercy, Emmanuel Macron. «Montebourg a des contacts qui seraient prêts à investir dans l'énergie. Le marché de la turbine à gaz va repartir, c'est une technologie qui permet de faire la transition entre le charbon et le renouvelable, martèle Philippe Petitcolin. Nous sommes en passe d'avoir des commandes pour l'Allemagne, l'Italie. Il s'agit de garder nos compétences, notre outil de travail quand GE ne propose que de la destruction. Si on reste chez GE, on est morts. Ils veulent tout casser.»

Appel à la nationalisation

Le plan de l'Intersyndicale ? «Sortir de General Electric, les forcer à nous vendre», indique l'élu du personnel qui en appel à «un rapport de force entre l'Etat et GE» : «Il faut contraindre GE, soit en passant par la nationalisation, soit en utilisant l'arme de l'accord de 2014.» Lorsqu'en 2015, les dernières activités énergie du fleuron industriel tricolore passaient sous pavillon américain, GE s'engageait sur la pérennité du site via un accord, signé avec l'Etat français. L'accord est devenu, quatre ans plus tard, une liste de promesses non-tenues. «Et un tabou pour le gouvernement», le signe de «ses lacunes», de «son manque de vigilance», analyse Philippe Petitcolin. Il y a les 1 000 emplois qui n'ont jamais vu le jour, et pour lesquels GE s'acquittera d'une amende de 50 millions d'euros. Mais l'intersyndicale ne cesse de le rappeler : l'accord prévoyait d'autres closes, elles aussi bafouées.

Avec l'arrivée des Américains, le site belfortain a été relégué en quelques années au rang de «vulgaire sous-traitant», selon les mots de Philippe Petitcolin alors que l'accord devait le sanctuariser comme centre de décision et centre européen de la turbine à gaz 50 hz. «Les dirigeants ont été licenciés. Tout ce qui est stratégique a été logé en Suisse pour défiscaliser les bénéfices. Depuis, le business s'est effondré», poursuit le représentant des salariés. La semaine dernière, il a eu Bruno Le Marie au téléphone. Le ministre de l'Economie lui a assuré avoir demandé au PDG de GE Larry Culp, de revoir à la baisse le nombre de licenciements, et de donner des garanties sur l'avenir du site. «Trop frileux», aux yeux de l'intersyndicale. «Bruno Le Maire ne veut pas s'embrouiller avec GE, il estime que ce serait prendre un risque pour l'emploi, puisque GE fait travailler 15 000 personnes en France», estime Philippe Petitcolin. Une précaution qui n'a plus lieu d'être selon lui, car «la casse a commencé : à Nantes, Villeurbanne, Paris, GE licencie déjà partout».