Menu
Libération
Au rapport

Les nuits plus qu'agitées des détenus en France

Manque d’hygiène, matériel défectueux, promiscuité... Un rapport de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté s'attache à analyser ces établissements à travers le prisme de la nuit, au cours de laquelle les droits fondamentaux apparaissent d'autant plus mis à l'épreuve.
Devant la prison de Fresnes, en janvier 2018. (Photo Thomas Samson. AFP)
publié le 3 juillet 2019 à 6h16

Une prison dans la prison. Voilà l'idée véhiculée par le dernier rapport de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) sorti ce mercredi en librairie, à propos de l'espace-temps singulier et pourtant peu analysé, de la «nuit» en détention. Etablissements pénitentiaires, locaux de garde à vue, centres éducatifs fermés, centres de rétention administrative… Tous sont traversés – avec une intensité variable – par un schéma néfaste : «La nuit, les droits fondamentaux y sont encore moins respectés», déplore la contrôleuse Adeline Hazan, dont les équipes se sont penchées sur le sujet une année durant, alarmées par les conclusions de leurs visites nocturnes.

Conditions d'hygiène plus que douteuses, matériel inadapté voire carrément défectueux, promiscuité exacerbée… «Il fallait intervenir et se saisir du sujet», estime Adeline Hazan, lapidaire. S'il ne s'agit pas d'une problématique nouvelle, la CGLPL juge cependant que l'ensemble des éléments qui commandent la nuit en font un moment de mise à l'épreuve exacerbé.

Le bât blesse dès le lit et ce qui l'entoure. «Déjà, c'est simple, les couvertures ne sont jamais changées. Si on veut les laver, on doit se débrouiller pour les laver à l'eau», se souvient Anaël, récemment sorti d'une détention provisoire à Fresnes (Val-de-Marne). «Et puis on dort sans oreiller, parce que sinon on pourrait l'utiliser pour étouffer quelqu'un.» Concernant la literie, le rapport constate parfois l'usage de «simples rectangles de mousse, parfois anciens, dégradés et sales» conduisant certains détenus à contracter des maladies de peau, quand il ne s'agit pas des dommages causés par les nuisibles, particulièrement actifs la nuit.

«On avait des fourmis et des cafards»

«On a beaucoup de cas de requêtes déposées par les détenus à propos des punaises de lit», constate Adeline Hazan, notamment pour les prisons les plus anciennes. «Nous, on avait des fourmis et des cafards, heureusement on a échappé aux puces de lit !» Anaël rit jaune, mais reconnaît sa chance, car les interventions peuvent prendre «jusqu'à deux semaines», un calvaire pour ceux qui «se font dévorer toutes les nuits».

Mise en cause également, la persistance d’odeurs nauséabondes, de systèmes de ventilation inutiles, de cellules mal conçues où il fait souvent trop chaud ou trop froid. Le tout à supporter de 19 heures à 9 heures du matin pour les gardes à vue, alors que les interrogatoires sont suspendus, ou encore de 18h30 à 7 heures du matin au sein des établissements pénitentiaires. Car dans les espaces de privation des libertés, la «nuit» est un concept particulier, qui commence dès que les détenus sont contraints de rejoindre leur cellule. Un espace-temps fictif où règne l’absence d’activité, l’impossibilité d’avoir des visites, et un accès aux soins limité.

Alors qu'en temps normal, la nuit est synonyme de repos et d'intimité, la détention en fait un moment propice aux angoisses et perturbations de tous genres. «Le pire, la nuit, c'était les hurlements de ceux placés au mitard, et le comportement des matons sadiques», se rappelle Christophe de La Condamine, ancien détenu tombé pour braquage. «Ils sont une minorité, mais quand ils sont là, c'est Guantánamo. Ils s'amusaient à balancer la lumière des projecteurs en pleine nuit, puis l'arrêtaient, de façon répétitive. Et certains, pendant leurs rondes de nuit, venaient frapper à nos portes pour nous empêcher de dormir.»

«Même les chiens dorment mieux que nous»

A Fresnes, «tout le monde pète des câbles la nuit», a constaté Anaël. Pour de multiples raisons, mais souvent pour «manque d'accès aux soins», comme le souligne le rapport. «Il y a régulièrement des gens qui tambourinent de toutes leur force à la porte parce qu'ils ont besoin d'aide. Ca peut être un simple médoc, mais pour ça il faut attendre le lendemain pour passer devant le médical. Alors ils pètent un plomb.»

Et au sein des établissements pénitentiaires, nombreux sont les prisonniers condamnés à partager leur cellule, souvent à trois pour 9 m², des conditions qui, pour la CGLPL, «portent atteinte à l'intimité et à la dignité» des détenus, qui ne peuvent trouver dans la nuit le repos et le réconfort nécessaires. «Nombreuses sont les personnes à se retenir d'aller aux toilettes dans le silence de la nuit», souligne par ailleurs le rapport, qui fait également état d'un climat de tension latent autour d'actions qui peuvent sembler banales, comme le contrôle de la télévision ou de la lumière, mais qui, à force de répétition, rendent certains détenus irascibles. Le tout avec le sentiment de ne pas pouvoir dormir comme le devrait un être humain. «Avec 5 m² par bête dans un chenil, même les chiens dorment mieux que nous», tance Christophe de La Condamine.

La contrôleuse Adeline Hazan le reconnaît, «avec le phénomène de la surpopulation galopante dans les lieux de détention en France, le problème de la nuit est devenu encore plus frappant ces dernières années.» Les 15 000 places en détention supplémentaires promises par le gouvernement d'ici à 2027 pourront-elles soulager les nuits des détenus ? «Ces trente dernières années, plus on a construit de places en détention, plus ça a été rempli», tacle Adeline Hazan. Combiné à la détérioration avancée de certaines maisons d'arrêt, ainsi qu'à la baisse du budget global des prisons, la nuit est encore loin d'être un chantier prioritaire.