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Justice

Jihadistes en Irak: «Est-ce qu’on éradiquera le mal en appliquant la peine de mort ? Non !»

Les représentants des familles de Français partis rejoindre l'Etat islamique alertent, avec l'association Ensemble contre la peine de mort, sur la nécessité selon eux de faire juger les ressortissants français en France.
La salle de la cour pénale où sont jugés des ressortissants français pour appartenance au groupe jihadiste Etat islamique (EI), le 29 mai 2019 à Bagdad, en Irak. (SABAH ARAR/Photo SABAH ARAR. AFP)
publié le 4 juillet 2019 à 19h12

«Ceux qui croient qu'exécuter les jihadistes tuera le crime se trompent.» Véronique Roy, représentante du collectif «Familles Unies» regroupant les proches de Français partis en Irak et en Syrie, n'en démord pas : «La société française ne se réparera des crimes de l'Etat islamique que par des procès irréprochables, et sans tolérer la barbarie.» Ce jeudi, l'association tenait conférence de presse commune avec l'ONG «Ensemble contre la peine de mort» (ECPM). En mai et juin, onze Français ont été condamnés à mort à Bagdad. Tous à la suite d'audiences fantoches, d'une durée moyenne de vingt minutes. Un simulacre de justice, qui n'a pas empêché le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, de qualifier les procès «d'équitables». Désormais, les onze Français attendent d'être rejugés en appel.

Depuis 1981 et l'abolition de la peine de mort dans l'Hexagone, la France tient pour principe de s'opposer à la peine capitale «en toutes circonstances». Or, comme le rappelle Raphaël Chenuil-Hazan, directeur d'ECPM, l'Irak a éliminé 177 personnes ces deux dernières années. Sur la décennie écoulée, l'Irak fait partie des cinq pays qui ont exécuté le plus dans le monde. «En 2014, dans le cadre des examens périodiques menés par la commission des droits de l'homme des Nations unies à Genève, la France a tancé l'Irak pour le caractère expéditif de sa justice, l'accès inexistant au dossier pour les avocats, l'absence d'instruction sérieuse. Aujourd'hui, on accepte que l'Irak juge des ressortissants français. J'aimerais qu'on nous explique ce qui a changé…», raille Raphaël Chenuil-Hazan.

Sévices à la batte de baseball

D'après les familles des onze Français actuellement détenus à Bagdad, certains se sont vus extorquer des aveux sous la torture. Sévices à la batte de baseball, expositions au soleil dans des positions éprouvantes et décharges électriques auraient été utilisés en vue de faire signer aux Français des documents en arabe, langue qu'ils ne maîtrisent pas. «Ce sont les détenus eux-mêmes qui ont rapporté ces scènes lors des rares coups de fil qu'on les autorise à passer à leurs familles», précise Véronique Roy.

Cette dernière, qui a perdu son fils en Irak en 2016, plaide le droit «à la compassion». «On a l'étiquette de parents criminels parce que nos enfants ont rejoint l'Etat islamique. Or, parmi ces recrues, beaucoup ont été la proie de recruteurs qui leur ont inoculé cette terrible idéologie. Est-ce qu'on éradiquera le mal en appliquant la peine de mort ? Non ! A ce jour, on manque cruellement d'éléments de vérité. Nous ne sommes pas opposés à ce que nos enfants soient condamnés, même sévèrement s'ils le méritent. Moi, je ne sais toujours pas précisément ce qu'a fait mon fils là-bas. Peut-être qu'un jour, au détour d'un procès à Paris, l'un des accusés nous apprendra qu'il l'a croisé», espère-t-elle. Raphaël Chenuil-Hazan abonde : «Nous devons expliquer à l'opinion publique pourquoi elle se trompe en attisant la vengeance. Les quelque 490 Français encore présents en Syrie doivent être jugés dans l'Hexagone. Nous craignons de nouveaux transferts nébuleux vers l'Irak de certains d'entre eux.» Et de citer Robert Badinter, président d'honneur d'ECPM : «Utiliser contre les terroristes la peine de mort, c'est, pour une démocratie, faire siennes les valeurs de ces derniers.»