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Justice

Bernard Tapie : maudit Adidas !

Bernard Tapie, aujourd’hui atteint d’un cancer, ne s’est jamais vraiment remis de la revente de l’entreprise. Tout au long de l’affaire, il aura multiplié les coups de gueule et saillies bien senties pour se défendre.
Bernard Tapie avec l'avocat Hervé Temime, le 12 mars 2015. (Photo Eric Feferberg. AFP)
publié le 9 juillet 2019 à 21h06

L'un des derniers mots de Bernard Tapie au tribunal, le 27 mars, fut d'une simplicité biblique : «Salopard !» Une insulte adressée non pas aux magistrats, mais à Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit lyonnais, entendu comme témoin - à charge - cité par l'accusation. Combat singulier qui résume toute l'embrouille, de la revente d'Adidas à l'origine du litige en 1992-1993 à l'arbitrage frelaté de 2008 puis son annulation en 2015 suivie du procès correctionnel en 2019.

«Bande d’enfoirés»

L'ancien homme d'affaires, qui se présente désormais comme comédien, n'a toujours pas avalé le premier épisode de la saga, dont tout le reste découle : ce satané redressement d'Adidas. Il suffisait pourtant de délocaliser la production en Asie et de doper le marketing. Tapie ne se sera occupé que du second point : «On ne peut pas être ministre de gauche et en même temps fermer des usines en Europe. Entre être un riche industriel et un moyen ministre, je n'ai pas hésité.» Rigueur du raisonnement, pour expliquer que plus tard Robert Louis-Dreyfus (repreneur d'Adidas puis de l'OM) puis le Crédit lyonnais auraient récupéré les marrons du feu à sa place pour dix fois plus de bénéfices : «Heureusement que Peyrelevade ne se mêle pas de foot, sinon il prétendrait que c'est RLD qui a remporté la Coupe d'Europe avec l'OM», ironisait Tapie auprès de Libération avant le procès.

Le bonhomme, désormais septuagénaire, objet d'un double cancer, de l'estomac et du pancréas - on lui a retiré la moitié du ventre, il s'alimente essentiellement de yaourts -, se nourrit toujours de punchlines. Comme celle-là : «On paiera ce qu'il faudra payer, mais cette bande d'enfoirés ne veut pas essentiellement se faire rembourser, mais me faire mal.» Voire le «tuer», mot également prononcé à la barre du tribunal.

Il était ici question de la justice civile, qui lui avait accordé 135 millions d’euros de dommages et intérêts en 2005, avant de céder la place à une instance arbitrale fixant en 2008 le quantum à 404 millions (dont 240 millions lui reviendront en net) puis, refaisant le match en 2015, ne lui concédant que l’euro symbolique. Depuis, Tapie s’est derechef mis en faillite, promettant de rembourser un jour et de quitter enfin son fortin parisien, l’hôtel particulier de la rue des Saints-Pères, pour finir ses jours à Marseille.

Film sans fin ?

Reste le bagout, pour le meilleur ou le pire - récemment amoindri par la maladie qui a envahi la gorge, lui donnant une intonation de plongeur sous-marin. Toute la sarkozie aura défilé devant la justice française pour décrire son entregent. Mode minimaliste avec Bruno Bézard, ancien directeur du Trésor : «On le croisait dans les couloirs. Curieux.» Potache avec Jean-Louis Borloo, très bref locataire de Bercy en 2007 : «Notre amitié est de bac à sable, il était très euphorique, insistant sur ses relations au sein du nouveau gouvernement.» Stéphane Richard, le directeur de cabinet de Christine Lagarde, admettant le tutoyer - lui, pas elle - car «il tutoie tout le monde». Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, simple témoin assisté, surjouant le détachement en reconnaissant son «activisme téléphonique et épistolaire». Bernard Tapie himself, résumant à sa façon la problématique : «Si Sarko avait pris le dossier en main, il aurait nommé lui-même les arbitres !»

Il prend un malin plaisir à défier l'avenir, avec un ultime tournage au cinéma prévu avec Claude Lelouch. Clap de fin ou film sans fin ? Impossible à joindre directement ces derniers jours pour cause de nouvelle chimiothérapie, il a néanmoins déclaré à l'issue du jugement à son journal, la Provence : «Mon cancer vient d'en prendre un sale coup dans la gueule ! C'est bien la preuve qu'il faut toujours, toujours, se battre jusqu'au bout.»