Le chapeau, le bonnet, la kippa, la perruque, le voile (y compris celui de la mariée), la tiare ou la casquette d’uniforme : tous sont des héritiers des coiffes traditionnelles. Pour les peuples premiers, se couvrir la tête est une manière de signifier sa place dans la société. Le couvre-chef est un prolongement de la parure naturelle que sont les cheveux. Il est une protection physique et symbolique, un moyen d’interagir avec les divinités, d’affirmer son statut social et son pouvoir militaire. Il accompagne les temps forts de la vie : passage à l’âge adulte, mariage, décès. Il est enfin un attribut de spectacle. Au-delà de son attrait esthétique, la coiffe s’est affirmée comme un manifeste identitaire, pour soi et pour les autres.
Avec l'exposition «le Monde en tête», le musée des Confluences de Lyon donne à voir plus de 330 coiffes provenant principalement d'Asie, d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'Océanie. La plus ancienne est antérieure au XVe siècle, la plus récente a quelques années. La majorité est issue de la donation d'Antoine de Galbert, collectionneur et fondateur de la Maison rouge à Paris, un espace d'exposition fermé en 2018. En collectant ces pièces, en les contemplant, Antoine de Galbert a eu «le sentiment jubilatoire de faire le tour du monde, d'accomplir une sorte de voyage immobile, d'aventure intérieure et mentale comme on en fait parfois du fond de son lit». Composés de matériaux variés (métaux, perles, bois, tissu), ces artefacts sont aussi créés à base de matières animales : poils, griffes, carapaces, fourrures, becs, dents, plumes… «Il s'agit d'une matière noble et disponible dans l'environnement direct, explique Maïnig Le Bacquer, cheffe du projet d'exposition. C'est aussi une manière de s'attribuer les pouvoirs, la force ou les spécificités de caractère de l'animal.» Visite au coup par coup.
Coiffe-cimier (roach), XXe siècle, Amérique, Etats-Unis, Canada, région des Plaines, des Prairies et des Plateaux, poils de porc-épic d'Amérique, pigments, fibres végétales, peau. PHOTOS PIERRE-OLIVIER DESCHAMPS. AGENCE VU
1 Coup de tête
Le roach est la coiffure emblématique des danseurs de pow-wow, ces guerriers amérindiens qui se préparaient au combat en martelant le sol de leurs pieds, lance ou tomahawk brandis à la lune. Cette crête, souvent faite de poils de porc-épic des plaines d'Amérique du Nord, était fixée à une mèche de cheveux laissée sur le sommet du crâne rasé. Ce scalp était tranché par l'ennemi pour entériner sa victoire et la soumission du vaincu dans l'au-delà. L'«iroquoise», appelée coupe «mohawk» aux Etats-Unis ou «mohican» au Royaume-Uni, est devenue célèbre en Occident avec le mouvement punk. Elle apparaît au milieu des années 70 sur la tête des «vauriens» qui clament leur anticonformisme piquant, avant de se populariser (et de se raccourcir) jusqu'à devenir l'apanage de la tribu des branchés.
2 Coup de maître(sse)
Le dauphin est très présent dans de nombreuses mythologies (grecque, hindoue, amazonienne) où le mammifère, joueur et pacifique, guide les hommes sur l'onde. Dans les îles Marquises, au XIXe siècle, il est pourtant sacrifié pour sa denture, qui sert à confectionner des couronnes pour les femmes de haut rang. La parure aux airs de Sainte Couronne d'épines montrée ici compte environ 2 000 dents percées et montées sur un rang de perles de verre fixées à un bandeau de bourre de coco. Cette coiffe traduisait le prestige des femmes qui, dans certaines sociétés matriarcales polynésiennes, pouvaient être cheffes et prendre plusieurs époux. Bref, avoir les dents longues.
3 Coup d’aile
Le filet interne de ce bonnet, une fois retourné, permet d’en protéger les plumes de grand hocco, de poule et d’ara. La plumasserie en Amazonie, hautement sophistiquée, s’est nourrie de la formidable diversité d’oiseaux vivant dans cette région de forêt tropicale. Plusieurs mythes fondateurs établissent un parallèle entre les variétés de volatiles et la complexité de l’organisation sociale des ethnies. Sur le territoire des Indiens kayapo (Brésil), se parer de plumes particulières est un privilège qui dépend des origines et du statut des individus. Le port d’une coiffe permet ainsi de faire passer un message, qu’il soit spirituel lors de rituels ou politique en cas de conflit.
4 Coup d’éclat
Le bleu iridescent de cette coiffe faite d'un diadème et de quatre piques à cheveux a été obtenu grâce à un assemblage de plumes de martin-pêcheur, emblème de la fidélité conjugale. Les orfèvres chinois se sont emparés dès le début de notre ère de ce matériau pour parfaire une technique d'incrustation (diancui) proche de l'émail cloisonné, consistant à ajuster des plumes entières ou découpées en fines parties pour créer un aplat dont le lustre dépend de la lumière projetée. Ces ornements étaient réservés aux cheveux noir de jais des aristocrates, qui les portaient à la cour lors d'événements officiels. Ici, le motif de la pivoine rend hommage au printemps.
Chapeau d'adepte de Legba (legbaza ou legbakun), XXe siècle, Afrique, sud du Bénin, population fon, fibres végétales, textile, terre, perles, cauris, plumes, graines, verre, terre cuite, crâne de singe cercopithèque mone
5 Coup du sort
Ce chapeau porté par les adeptes du vodun Legba est couvert de multiples amulettes, dont un crâne de singe cercopithèque mone. Dans l’ancien royaume du Danhomè (ou Dahomey au Bénin), l’ethnie fon pratique un culte chamanique qui voit se manifester les esprits, bienveillants ou néfastes, pour protéger, guérir les hommes ou leur nuire. Legba est le messager de la croisée des chemins, du désordre, de la méchanceté, de l’intelligence et de la ruse. Comme les autres divinités de ce panthéon, il emprunte une enveloppe (objet, animal) pour s’incarner sur Terre, et ce uniquement entre midi et une heure, et la nuit entre minuit et le chant du coq. Gare à celui ou celle qui croise tête nue l’esprit malin… Comme un singe.
Coiffe d'initié au bwami, XXe siècle, Afrique, république démocratique du Congo, provinces du Sud-Kivu et du Maniema, population lega, fibres végétales, boutons, cauris, peau de pangolin à petites écailles
6 Coup de chance
Le pangolin est le totem des Lega, une population forestière bantoue d'Afrique centrale. Symbole de la solidarité familiale et clanique, l'animal, dont les écailles forment une solide carapace, est associé aux grades inférieurs du bwami, la structure sociale, rituelle et politique extrêmement codifiée du peuple lega. Sacré, le pangolin ne peut pas être chassé : seuls les chanceux qui trouvaient un individu déjà mort pouvaient utiliser sa dépouille pour la confection de coiffes destinées aux hommes initiés.
Couvre-théière, XIXe-XXe siècles, Europe, Grèce (?), Thessalonique (?), communauté juive (?), soie, fil de métal
7 Coup de chaud
Antoine de Galbert, qui se dit «amateur tout-terrain» d'art, a omis d'ôter de la donation la pièce 1848 - dûment exposée au musée des Confluences avec les autres. Le collectionneur en rigole encore : ce bonnet de soie rouge, brodé au fil doré d'un panier, de fleurs et d'arabesques, a été acheté dans une boutique du grand bazar d'Istanbul. Quand il l'a aperçu, Galbert en était sûr : elle était typique de la communauté juive orientale. Le vendeur ne l'a pas contredit, affaire conclue. Deux ans plus tard, un visiteur de la Maison rouge s'arrête devant la vitrine exposant la trouvaille. L'homme, gêné, lui révèle qu'il s'agit d'un couvre-théière, destiné à garder l'eau au chaud.