Président d'honneur du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), le Pr Didier Sicard a rendu un rapport sur la fin de vie à François Hollande en décembre 2012. Il a été à l'origine de la loi dite Claeys-Leonetti.
Quel est votre sentiment sur l’affaire Lambert ?
Ni l’impression d’une fatalité ni celle d’un gâchis, mais d’abord le constat d’une instrumentalisation à des fins presque sectaires d’une situation terriblement humaine. La femme de Vincent Lambert, Rachel, et quelques-uns de ses frères et sœurs se sont toujours conduits dignement, conservant une remarquable rigueur. Le paradoxe est que plus Rachel Lambert a affiché une détermination admirable, dénuée de tout autre engagement que celui de porter la volonté de son mari, plus elle a été attaquée par ses beaux-parents, dans un combat qui avait peu à voir avec Vincent Lambert.
Mais les parents ont bien le droit d’avoir cette position…
Tout à fait. Cela fait partie de l'humanité que de défendre la vie de son enfant. Quand j'étais chef de service à l'hôpital Cochin, à Paris, j'ai souvent été sollicité pour intervenir ou donner un avis sur des enfants porteurs de lourds handicaps. Que faire ? Les familles avaient souvent la volonté de maintenir à tout prix la vie, et les équipes leur demandaient l'autorisation d'arrêter. «Comment voulez-vous que l'on demande la fin de vie de notre enfant ?» répondaient les parents. Je me souviens d'un père qui m'avait dit : «Notre non était un oui. Mais ne nous demandez pas la mort.»
La justice aurait-elle dû dire stop à un moment donné ?
Nous avons le sentiment que la loi a été, à un moment, lâche. Elle a laissé à la médecine une sorte de responsabilité. On a demandé aux médecins d'accomplir puis d'arrêter, puis de reprendre un acte qui n'est plus tout à fait un geste de médecin mais de justice, conférant à des soignants un rôle d'huissier. Le Dr Eric Kariger, le premier médecin, a été exemplaire. Il était croyant, vraiment pas un partisan de l'euthanasie. Ses convictions étaient plutôt dans un sens opposé, proches de la droite catholique, contre l'IVG. Attaqué, il répondait : «Laissez-moi mon discernement.» Rien n'est simple. En tout cas, cette incapacité de la justice à aller jusqu'au bout de son arrêt a rendu la médecine vulnérable.
Qu’aurait dû faire la loi ?
La loi doit avoir un rôle protecteur, et les deux personnes vulnérables étaient bien Vincent et sa femme. La justice ne les a pas protégés. Sa femme se retrouvant même doublement atteinte, d’une part attaquée comme voulant la mort de son mari, et d’autre part blessée de ne pas avoir pu faire respecter le vœu de son mari.
Pour reprendre l’expression de votre rapport, est-ce que l’on meurt toujours mal en France ?
Il y a eu des améliorations mais la médecine française reste dans une grande difficulté face à la mort. Elle a donné au progrès médical et à la technique une sorte d'utopie de la guérison. Lors de la rédaction de mon rapport, en 2012, la phrase que j'entendais le plus dans la bouche des médecins était : «La mort est un échec.» Automatiquement, on fuit devant l'échec. Certains ont réfléchi mais, globalement, la mort ne fait pas partie de la médecine, elle est déléguée aux soins palliatifs.
Que faire ?
Je me souviens d’en avoir débattu avec le président de la conférence des doyens des facultés de médecine. Il me disait qu’il fallait que cela change. Mais qu’a-t-il fait ? Aujourd’hui, ce sont quelques heures perdues dans un enseignement, et la médecine palliative n’est toujours pas une discipline universitaire à part entière. Et il y a un autre paradoxe : plus la médecine engrange des succès, plus elle multiplie les situations d’acharnement thérapeutique. Regardez en cancérologie : on fait maintenant des chimiothérapies dites palliatives. N’est-ce pas le comble de la lâcheté ? Nous avons été le pays de l’acharnement thérapeutique, maintenant nous sommes le pays de l’espoir thérapeutique, du triomphe de la médecine.
Et la perception dans la société ?
Cela bouge peu. Les directives anticipées restent marginales. La vie, c’est l’anticipation, c’est prévoir. Aujourd’hui, le présent est devenu trop obsédant.