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Libération
Homardgate

François de Rugy : des révélations jusqu’à l’indigestion

Epinglé par «Mediapart» pour ses dîners et des affaires immobilières, le ministre de la Transition écologique, qui a limogé entre-temps sa directrice de cabinet après des révélations sur son logement social, semble cerné.
François de Rugy et Emmanuel Macron, le 1er avril au palais de l’Elysée. (Photo Denis Allard)
publié le 11 juillet 2019 à 21h16

Un régal. Jeudi à Niort, devant la préfecture des Deux-Sèvres, quelques dizaines de militants écolos brandissaient, hilares, un superbe homard gonflable rouge : «On veut du homard et de l'eau dans nos rivières !» Les manifestants célébraient ainsi, avec ironie, la présence de François de Rugy, le ministre de la Transition écologique, venu visiter une ferme d'élevage bovin dans la commune de Saint-Symphorien. «François, ta planète tu la préfères bleue, saignante ou bien cuite ?» scandait aussi le comité d'accueil.

«Rembourser chaque euro contesté»

Quelques minutes plus tard, alors qu'enflait la rumeur d'une possible démission, le ministre écourtait sa visite pour se rendre sur le champ à une convocation du Premier ministre. Dans la soirée, Matignon indiquait qu'Edouard Philippe et son ministre d'Etat étaient convenus «de la nécessité de répondre à toutes les questions que se posent légitimement les Français» concernant les deux affaires qui visent Rugy. Le secrétariat général du gouvernement a prévu de diligenter dès ce vendredi une inspection afin de vérifier si les travaux effectués dans le logement de fonction du ministre respectent le «principe d'exemplarité» qui s'impose à tous les ministres. Rugy entend par ailleurs «soumettre au contrôle de l'Assemblée nationale» les frais de représentation du temps de sa présidence, pendant la session parlementaire 2017-2018. «Si la moindre ambiguïté persistait» à la suite de ce travail de vérification, il s'engage à «rembourser chaque euro contesté».

Le joyeux happening de Niort illustre les ravages de l’affaire des frais de bouche de l’ex-président de l’Assemblée. A peine sorti de la crise des gilets jaunes, le gouvernement n’est pas à l’abri d’une prolifération de homards gonflables sur les ronds points, dans les cortèges.

Rugy et son épouse, Séverine, journaliste au magazine Gala, ont organisé une dizaine de dîners dans les salons de l'hôtel de Lassay, la résidence du président de l'Assemblée. Selon Mediapart, ces «somptueuses agapes» essentiellement fréquentées par des amis du couple n'auraient aucune justification. Pour enfoncer le clou, le site d'information a publié les coûteuses factures de rénovation de l'appartement privé du ministre. Il a aussi révélé que la directrice de cabinet de Rugy, Nicole Klein, a bénéficié de manière indue d'un logement HLM à Paris pendant une dizaine d'années. François de Rugy avait mis fin à ses fonctions dès mercredi soir, quelques heures après la publication de l'enquête.

«Leçons de morale»

Estimant n'avoir «rien à se reprocher», il renvoie aux réponses détaillées qu'il a adressées à Mediapart. Selon son cabinet, l'Elysée et Matignon ont été tenus constamment informés de ses échanges avec le site d'information. «Je suis pour la transparence depuis toujours, je la pratique […] y compris lorsqu'on me pose des questions de façon évidemment très tendancieuse», a-t-il déclaré en marge de son déplacement à Niort. Il indique qu'il se tient à la disposition de la déontologue de l'Assemblée pour justifier des dix dîners qui lui sont reprochés.

Une partie de l'opposition s'est emparée de l'affaire avec d'autant plus gourmandise qu'elle a très mal vécu, au début du quinquennat, que Rugy remette en cause le train de vie de l'Assemblée. Le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, juge «scandaleux» ces dîners si leur caractère privé devait être démontré. «Nous en avons marre d'entendre des leçons de morale», a-t-il ajouté. Le porte-parole d'Europe Ecologie-les Verts Julien Bayou a estimé que François de Rugy devait quitter le gouvernement : «Il a invité ses amis et il prétend le contraire. […] Il est pris en flagrant délit de mensonge.»

Mais même dans l'opposition, certains ne cachent pas leur malaise. «Il est heureux que des responsables d'institutions reçoivent : ce rôle de représentation est important. Il faut le défendre et de ne pas hurler avec les loups. Je trouve ça démago», confie le député LR Philippe Gosselin. Un ex-questeur UMP accorde à Rugy des circonstances atténuantes : «On met à la disposition du président de l'Assemblée nationale une cave, une cuisine et des chefs exceptionnels qui ont à cœur de lui faire des propositions de repas sensationnels. Ils sont là, à demeure. C'est une non-affaire.» Renvoyant aux habitudes fastueuses d'autres anciens présidents de l'Assemblée, beaucoup estiment qu'il s'agit autant d'une «affaire Lassay» que d'une «affaire Rugy».

Mais ce qu'ils ne pardonnent pas à ce dernier, c'est de leur avoir donné des leçons de sobriété après le triomphe d'Emmanuel Macron et de sa majorité. Apôtre de «la République exemplaire», il s'avère, à l'usage, qu'il n'a pas dédaigné une magnificence plus monarchique que républicaine.