Entre les autorités et le petit monde de la teuf, la liaison est rompue. L'année dernière, pourtant, une convention avait été signée entre Freeform - une association qui tente de faciliter ces relations -, le ministère de l'Education nationale et la Mildeca - mission rattachée au Premier ministre chargée de lutte contre les drogues. Elle prévoyait des expérimentations dans quatre régions, où organisateurs de free partys et responsables locaux devaient mutuellement se faciliter la tâche. «Mais les préfectures n'ont jamais voulu bouger car le ministère de l'Intérieur n'a pas signé d'instruction», déplore le coordinateur national de Freeform, Samuel Raymond. Il décrit un public grandissant, qui a le sentiment d'être méprisé par les autorités. Entre «stigmatisation» - on leur reproche de n'être que des drogués - et «invisibilisation» - leurs demandes pour régulariser leurs événements restent souvent lettre morte…
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Cette situation contribue, selon tous les acteurs du mouvement interrogés, à la violence de la charge des policiers, au bord de la Loire, dans la nuit du 21 au 22 juin à Nantes. Celle à la suite de laquelle Steve Caniço, 24 ans, a disparu. «Si ça a avait été un concert de rock, il y aurait eu plus de mesure dans la réponse policière», regrette Victor Lacroix. Le responsable de l'association Media'son, qui réunit plusieurs collectifs de musique techno de la région nantaise, estime que «c'est représentatif de ce que subit la communauté un peu partout».
Ignorance
Une grosse partie de cette vie musicale se joue lors des free partys (ces «fêtes libres» où le prix l'est tout autant, même s'il y a parfois un minimum de l'ordre de quelques euros pour pouvoir rentrer). Pas de carton d'invitation ou d'adresse sur un événement Facebook : le lieu de la soirée est généralement communiqué au dernier moment, par message aux quelques dizaines ou plusieurs milliers de participants. Pour être tranquilles, les organisateurs plantent le plus souvent des enceintes en rase campagne. Mais avant d'en arriver là, ils se heurtent souvent au silence des autorités. Quand elles sont consultées par des organisateurs, «leur seul et unique réponse, c'est : "Montez un dossier"», assure Victor Lacroix. Plusieurs fois, des organisateurs ont tenté le coup, en vain. Leurs demandes sont évincées. Ce qui n'empêche pas les forces de l'ordre ou les pompiers de visiter quelques fois le site de la soirée en amont. Les membres de la «free» «veulent faire des fêtes dans des endroits qui ne sont pas aménagés, ce qui nécessite effectivement certaines règles de sécurité et de prudence», reconnaît Marianne Rostan, avocate qui a l'habitude de les défendre : «Mais ils sont totalement en capacité de le faire !»
Une fois la cordiale ignorance passée, c'est souvent la répression qui prime. Il est courant, selon le responsable de Media'son, que les gendarmes «empêchent les gens de rentrer, créent des embouteillages, verbalisent ceux qui sont mal garés». Me Rostan complète la description de l'arsenal juridique des autorités pour entraver ces événements : «L'infraction généralement reprochée est l'organisation d'un rassemblement festif sans déclaration préalable. Une contravention de 5e classe, sanctionnée d'une amende de 1 500 euros.» A l'aspect financier s'ajoute une possible saisie du matériel. Tout y passe : enceintes, lumières et véhicules utilitaires.
«Relaxe»
En outre, des contraventions pour «nuisances sonores» sont fréquemment dressées par les forces de l'ordre. Mais «les parquets font aussi preuve d'inventivité», dixit Marianne Rostan, en évoquant par exemple le délit plus sévère «d'agressions sonores», sanctionné, lui, d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Autre possibilité : poursuivre les organisateurs pour des faits d'installation sur le terrain d'autrui en vue d'établir son habitation. «Une disposition pensée pour… les gens du voyage et inapplicable à ces cas-là», ironise Marianne Rostan. L'avocate assure d'ailleurs obtenir un taux de relaxe ou d'annulation de procédure de l'ordre de 80 % pour ces affaires. «Il y a un problème réel d'application de la loi face à ces organisateurs», regrette-t-elle.
Partout en France, le monde des free partys s’est organisé en associations, parfois de longue date, pour faire entendre plus distinctement ses revendications auprès des autorités. En 2014, un fonds de soutien juridique a été créé, notamment pour payer les frais de défense des DJs dont le matériel est saisi. Plutôt que devant les tribunaux, on aimerait, à Media’son et à Freeform, que la question de ces soirées se règle par le dialogue. Contacté à propos de cette défiance persistante, le ministère de l’Intérieur n’a pas donné suite à nos sollicitations. Selon les associations, 4 000 événements sont organisés chaque année en France. Pratiquement toujours avec ces mêmes schémas de laisser-faire, entre ignorance et répression.