Jean-Paul Delevoye a donc remporté la deuxième manche de la bataille interne à la majorité qui se joue sur la réforme des retraites. En plus de sa grande réforme dite «systémique», dont le haut-commissaire chargé du dossier doit livrer les «recommandations» jeudi matin, l'exécutif ne touchera pas aux «paramètres» du régime actuel pour faire entrer plus d'argent dans les caisses de l'Etat.
Après la réaffirmation par Emmanuel Macron, le 25 avril en conférence de presse, d'un âge légal à 62 ans (celui à partir duquel on est autorisé à partir), c'est une nouvelle victoire de l'ex-chiraquien face à Bercy et à Matignon, qui tentent désespérément de faire «travailler davantage» les Français. Que ce soit pour financer la future réforme de la dépendance, comme l'avait laissé entendre le Premier ministre Edouard Philippe, ou, comme l'avait d'ailleurs affiché le chef de l'Etat, aider à boucler un budget 2020 dont la baisse de l'impôt sur le revenu va coûter 5 milliards d'euros. Macron n'avait-il pas, lors de cette même conférence de presse, demandé au gouvernement «de regarder si on peut allonger la période de référence sans bouger l'âge légal pour avoir un système de décote qui incite à travailler davantage, mais sans forcer tout le monde» ? Mais mettre en place un tel mécanisme pour financer en partie les baisses d'impôts aurait obligé à prendre des mesures dès le 1er janvier 2020. Un tel choix aurait eu deux conséquences politiques néfastes pour Macron.
Une nouvelle concertation avec les syndicats
D'abord, en allongeant plus rapidement que prévu la durée de cotisation ou en instaurant, comme le réclame le Medef, un «âge pivot» à 63 ou 64 ans, en dessous duquel un actif partirait à la retraite avec une pension rabotée de quelques centaines d'euros, il aurait forcément touché les générations qui ont prévu d'arrêter de travailler dès 2020. Leur annoncer six mois avant leur départ qu'ils devront finalement faire quelques trimestres, voire années, supplémentaires, c'était s'assurer d'une vague de mécontentement non négligeable avant les élections municipales.
Ensuite, prendre de telles mesures aurait obligé le gouvernement à les inscrire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, dont le Parlement discutera à l’automne… 2019. Or, pour des raisons de calendrier, le gouvernement ne rendra pas ses arbitrages sur le futur régime universel à points avant la fin de l’année, pour un texte qui attendra vraisemblablement mi-2020 (après les municipales) pour son passage devant les députés et les sénateurs.
Mais entre les «recommandations» Delevoye formulée jeudi et la présentation du projet de loi en fin d'année, l'exécutif compte sur une nouvelle «concertation» avec des syndicats déjà bien échaudés par la cacophonie gouvernementale sur les 62 ans et tous opposés à une accélération de l'allongement de la durée de cotisation ou l'instauration d'un «âge pivot». Il lui suffisait d'annoncer qu'il touchait à ces paramètres dès 2020 et les syndicats, en réponse à ce qu'ils auraient qualifié de «provocation», auraient laissé Delevoye tout seul à sa table de «concertation». L'ex-ministre de la Fonction publique n'aurait eu d'autre choix que de rendre son tablier et Macron de mettre au placard une des «réformes de structure» qu'il veut inscrire à son bilan. En choisissant la raison syndicale de son haut-commissaire plutôt que les raisons budgétaires de Bercy et de Matignon, le chef de l'Etat s'évite une défaite politique.