Et de deux. Déjà deux ministres de la Transition écologique et solidaire carbonisés sous l'ère Macron, en à peine plus de deux ans. François de Rugy aura tenu encore moins de temps que son prédécesseur, Nicolas Hulot - dix mois contre quinze - au «ministère de l'impossible». Une expression que l'on doit au titre d'un livre publié en 1975 par Robert Poujade, premier ministre de l'Environnement de l'histoire, un an après avoir été remercié de ce poste. Le ministre de Pompidou y dénonçait déjà un manque de moyens sonnants et trébuchants et surtout un manque d'ambition, voire de criantes incohérences entre les objectifs affichés et la politique menée par l'exécutif.
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De fait, quel qu’ait été son intitulé - Environnement, Ecologie, Transition écologique -, ce portefeuille a souvent été synonyme de rapports de force, de pressions, de crise ouverte… et donc de valse des ministres titulaires. Leur longévité moyenne dépasse à peine les dix-huit mois. Une quinzaine de ministres se sont succédé depuis 1995. Même si ce n’est pas le cas de Rugy, qui s’en va pour d’autres raisons, beaucoup de ses prédécesseurs démissionnaires ou débarqués ont fait part d’une frustration liée à leur faible marge de manœuvre et au poids des lobbys. Sous l’ère Chirac, la Verte Dominique Voynet, ministre dans l’équipe de Lionel Jospin, démissionne en 2001 après avoir échoué à faire aboutir son projet de loi sur l’eau qui souhaitait appliquer le principe du «pollueur-payeur», dénonçant notamment le lobby des agriculteurs.
Fracas
Pendant le quinquennat Hollande, en juillet 2013, au bout d'un peu plus d'un an, l'alors socialiste Delphine Batho est renvoyée de son poste quelques heures après avoir osé se plaindre dans les médias de la maigreur de son budget, qualifié de «mauvais», et avoir avoué sa «déception à l'égard du gouvernement» de Jean-Marc Ayrault. Batho s'interrogeait alors en ces termes : l'écologie est-elle «bien une priorité ?», «est-ce qu'on a la capacité de passer du discours aux actes ?» Et de déplorer par la suite, notamment dans son livre Insoumise (publié en 2014), la toute-puissance des lobbys, en particulier ceux des énergies fossiles et nucléaire ou de la finance, ces «forces» qui dictent les choix politiques et ont le plus souvent le dernier mot.
En démissionnant avec fracas fin août 2018, Nicolas Hulot a lui aussi dénoncé «la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir», se demandant «qui a le pouvoir, qui gouverne ?». En avril, dans une interview à Libé, ce dernier refusait de reprendre à son compte l'accusation «d'alliance toxique entre Macron et les grands pollueurs» proférée par certaines ONG. Mais, ajoutait-il, «l'influence des lobbys est évidente, j'en ai fait la cruelle expérience le dernier jour de mon mandat avec le lobby de la chasse, pour ne parler que de celui-là. Les lobbys agroalimentaires ou énergéticiens exercent une influence considérable, parfois en faisant du chantage à la délocalisation, à la perte d'emplois. C'est une entrave à la démocratie».
«Pas de pouvoir»
Pour y remédier, Hulot estimait que «chaque ministre, chaque parlementaire devrait dire en toute transparence qui il a reçu, ce qui a été dit». Ce n'est apparemment pas ce qu'a fait Rugy : parmi les révélations à son sujet figure la participation à un dîner hors agenda avec des lobbyistes de l'énergie. «L'absence de transparence et le faste des réceptions abîment la confiance dans nos institutions, estimait mardi le porte-parole d'EE-LV, Julien Bayou. L'autre victime, c'est l'écologie : qui pour succéder à Rugy sur ce poste et cet enjeu si malmené par le gouvernement ?»
Qui ? Peu importe, en réalité. Hulot l'a martelé le jour de sa démission : tout seul, un ministre de l'Ecologie, aussi sincère et déterminé soit-il, ne peut rien. Tant que le sommet de l'Etat et les rouages de nos institutions seront aux mains des lobbys servant des intérêts privés, il ou elle aura au mieux «un peu d'influence», comme l'a dit Hulot, mais «pas de pouvoir». Tant qu'Emmanuel Macron, Edouard Philippe, comme tous les dirigeants de la planète, ne changeront pas de modèle économique et penseront «croissance, PIB, relance de la consommation», rien ne changera, ou si peu. Et l'écologie perdra la plupart des arbitrages. Le problème n'est donc pas la personne qui se trouve à ce poste. Hulot l'a dit : c'est l'ensemble du gouvernement qui doit «porter, incarner, proposer, inventer une nouvelle société économique». Et au-delà, c'est l'ensemble de la société, nous tous, qui devons «changer de paradigme» pour être à la hauteur de la crise écologique, le «pire défi que l'humanité ait jamais rencontré».