Quand Emmanuelle Sultani était dans sa classe la dernière semaine avant les vacances, le thermomètre est monté «jusqu'à 30°C à l'intérieur». Et bien plus dans la cour. L'enseignante a sorti «le ventilateur, les brumisateurs et l'eau fraîche» pour ses élèves. Surtout, elle a pensé aux deux ours polaires qui vivent près de chez elle, au parc Marineland d'Antibes. Plus proches des galets de la Méditerranée que de la glace de la banquise. «C'est une horreur. Ils vont se dessécher et finir en descente de lit, s'inquiète celle qui est aussi référente de l'association de lutte contre la captivité C'est assez. Ils doivent bouillir à l'intérieur.»
Les deux ours polaires pour lesquels s'inquiète Emmanuelle Sultani, ce sont Raspoutine et Flocke. Arrivé en 2010 à Marineland, le couple vit derrière une paroi de verre. Un enclos de 2 200 m2 avec accès à une grotte de glace, une salle climatisée, un bassin d'eau pompée en mer à 14°C, des rochers et une cascade.
«On n'est pas des sauvages»
«Pourquoi des ours polaires sur la Côte d'Azur ?» La problématique figure dans la FAQ du site internet de Marineland, comme si le plus grand parc marin d'Europe était las d'y répondre. Pour Libération, c'est le directeur Pascal Picot qui argumente : «Les ours appartiennent à un programme de reproduction européen. On a été contactés et on a accepté d'y participer. L'objectif, c'est de maintenir un pôle génétique intact, rappelle-t-il. Oui, les ours peuvent vivre sur la Côte d'Azur. Les spécialistes et vétérinaires du programme en sont convaincus sinon ils ne nous les auraient pas confiés. On n'est pas des sauvages.»
A Marineland, Flocke et Raspoutine sont «stimulés» avec des jouets, des friandises cachées dans des blocs de glace, des objets à détruire. «En janvier, on demande au personnel de ramener leurs sapins de Noël. Ils adorent jouer avec. Et ils lézardent au soleil, raconte même Pascal Picot. Dans le milieu naturel où vivent les ours, il n'y a pas forcément de la neige et de la glace. Ils sont poussés à venir dans les villages alentour et fouillent dans les poubelles. C'est ça, la réalité.» Emmanuelle Sultani invoque «le cas de Nelson Mandela» pour s'opposer : «Il vaut mieux vivre affaibli et malade en liberté, estime-t-elle. Les ours crèvent de faim et la banquise fond, je suis d'accord. Mais si les conditions ne sont pas meilleures en captivité, autant laisser les ours dans la nature. Là, ils tournent en rond.»
«Les ours manquent d'espace»
La fabrique à glaçons et les parties de jeu ne rassurent donc pas les militants anti-captivité. Une fois par mois, ils manifestent devant le parc. La prochaine «Nuit debout» aura lieu le 20 juillet. Forte d'une pétition signée par 250 000 personnes, l'association C'est assez a interpellé le ministère de la Transition écologique et a saisi la justice le 17 avril. Une plainte a été déposée à Grasse pour «maltraitance due aux mauvaises conditions d'accueil».
Plus que la chaleur, c'est la captivité qui est visée. «Il faut arrêter la reproduction. Les ours souffrent de stress : cela se voit à leur comportement stéréotypé, pointe Pierre Robert de Latour, fondateur de l'association Orques sans frontières, qui a défilé début juillet avec les anti-captivité. Ce sont des prédateurs, ils manquent d'espace. L'ours polaire est fait pour marcher sur la banquise, chasser, plonger dans l'eau gelée. C'est sa vie. Si une réintroduction en milieu naturel est trop compliquée, on peut transférer les ours dans des endroits froids, comme le nord de l'Europe.» Un vœu en partie exaucé : en 2014, Raspoutine et Flocke ont donné naissance à Hope. Après son sevrage, la petite oursonne a été transférée dans un zoo suédois où la température oscille entre 7 et 20°C en juillet. Il fait plus frais derrière ces grilles-là.