C'est un monument de la grande distribution qui s'apprête à disparaître. Mardi, le PDG de Gifi, Philippe Ginestet, dont le groupe a repris les magasins Tati en 2017, a annoncé la mauvaise nouvelle aux salariés : en difficulté, la célèbre enseigne n'existera bientôt plus, à l'exception du grand magasin de Barbès dans le XVIIIe arrondissement de Paris qui portera encore le fameux vichy rose de la marque. 13 magasins vont fermer en 2020, quand la centaine d'autres passeront sous pavillon Gifi. Entraînant, dans le même temps, la suppression de 189 emplois dans le cadre d'un PSE (plan de sauvegarde de l'emploi).
«On est mal barrés»
«Je peux vous assurer que dans les bureaux, tout le monde pleure. Certains sont là depuis quinze, vingt, même trente ans. Voir Tati disparaître, ça fait mal, dit «Fifi», une femme de ménage rencontrée devant le siège de l'enseigne. A la pause cigarette, on voit bien sur les visages, ils sont tellement tristes.» Vendredi, le directeur délégué à l'enseigne rose vichy, Thierry Boukhari, avait donné rendez-vous aux élus du CSE pour une première réunion de négociation. La CGT a appelé les salariés à les accompagner devant le siège à Saint-Denis, pour protester contre des décisions que le syndicat juge «préméditées».
Photo Bruno Charoy pour Libération
Sandrine, 48 ans, dont douze de boîte en tant que vendeuse à Castres (Tarn), a profité de ses vacances à Paris pour venir manifester devant le siège. Dans sa ville, il y a déjà un Gifi. Peu de chances, donc, de voir en 2020 le Tati pour lequel elle travaille changer de pavillon. «On pense qu'on est mal barrés mais on ne sait pas, on n'a pas beaucoup d'infos. Si ça s'arrête maintenant, ça va être compliqué, je n'ai plus 20 ans», regrette-t-elle. Reste un bruit de couloir auquel elle reste suspendue, mince espoir de voir son poste maintenu : «On a entendu dire qu'on pourrait éventuellement devenir un magasin de déstockage pour les autres.»
«On est dans le noir»
Cathy (1), vendeuse à Aubervilliers, a interrompu ses vacances en Normandie pour venir manifester. Pour elle aussi, le flou entourant les suppressions de postes crée de nombreuses inquiétudes. «Dans le dossier qu'on nous a remis mardi, il y a plein de magasins qui ne sont pas dans la liste. Ils ne sont ni repris ni supprimés, on veut la liste exacte», réclame-t-elle. Ironie de l'histoire, elle avait soutenu Philippe Ginestet il y a deux ans au moment de la reprise, allant jusqu'à manifester à ses côtés. A l'époque, en avril 2017, Eram propriétaire de l'enseigne, place Tati en cessation de paiements. Plusieurs offres de reprise sont alors étudiées par le tribunal de Bobigny, qui désigne finalement le groupe Gifi comme repreneur. Avec pour promesse de la part du nouveau propriétaire, de ne pas faire de PSE. «A l'époque, je pensais que Gifi allait nous sauver. Mais aujourd'hui je suis déçue de Gifi et de Tati. On nous traite comme des animaux», s'indigne-t-elle.
Dans les annonces faites mardi, Philippe Ginestet a assuré que Tati ne disparaîtrait pas totalement, puisqu'un magasin doit tout de même conserver le nom de l'enseigne : celui, emblématique, de Barbès à Paris. Là-bas non plus ces nouvelles n'ont pas été accueillies avec bienveillance, car les salariés ont déjà vu leurs conditions de travail se dégrader depuis janvier. «On nous a supprimé notre treizième mois et nos tickets restaurants. Même les intérimaires, on en embauchera bientôt plus pour nous aider. On va rester, oui, mais dans quelles conditions ? On est dans le noir complètement», regrette Asif, 45 ans, employé depuis 2002. Un «coup dur», assure Christine (1), sa collègue, payée un peu plus que le smic, 58 ans et trente-sept ans de boîte.
«Se faire à l’idée que c’est fini»
La future disparition de l'enseigne fait aussi émerger des souvenirs nostalgiques des années fastes, quand Tati était mondialement connue. «Quand j'allais en Afrique, tout le monde me parlait de ça. Oh Tati par ci, Tati par là… C'était infernal», s'amuse une des employées du groupe. «Encore aujourd'hui, certains touristes américains ou canadiens nous demandent d'acheter des sacs à vichy rose en souvenir», lui répond une autre vendeuse de Barbès. «Il faut se faire à l'idée que c'est fini, mais sauvegarder le plus d'emplois possible», poursuit cette dernière.
A la sortie de la réunion avec le directeur délégué, Thierry Boukhari, la secrétaire fédérale de la CGT Elodie Ferrier a regretté le tempo imposé par le groupe. «Ils veulent juste aller vite pour que les salariés puissent partir très vite. On se voit ce vendredi, et il nous dit que les représentants syndicaux seront convoqués lundi pour faire des propositions. Mais on n'a pas le temps d'aller voir les salariés des magasins en un week-end seulement !» s'est-elle indignée. Au cours de la discussion, elle a retenu une phrase qui selon elle symbolise la situation. «Il a dit : "Ce ne sont pas les salariés qui décident." Cette phrase elle me choque», poursuit la syndicaliste. Les deux parties se reverront bien lundi selon le calendrier de la direction, pour que les salariés «puissent avoir des informations». Mais en attendant, dans les rangs du syndicat, la déprime guette. «Cette année, c'est vraiment dur. Rien que cette semaine on doit gérer la suppression de 1 900 postes à Conforama, et les 189 de Tati», souffle une syndicaliste.
(1) Les prénoms ont été modifiés.