«Il y a urgence car tous les signaux passent au rouge», s'alarmait la semaine dernière la secrétaire d'Etat auprès de la ministre de la Transition écologique, Emmanuelle Wargon, à propos de la sécheresse en France. Au total, dimanche après-midi, 73 départements, la Creuse en tête, avaient dû imposer des restrictions d'eau, et 26 étaient en «situation de crise». Ce qui n'a rien d'anormal en été, tempère Jérôme Lecou, météorologue à Météo France. «Les sécheresses estivales sont régulières et leur intensité fluctue», souligne-t-il, rappelant «qu'au 14 juillet, la situation avait été bien pire en 1976, 2003 et 2015». Si au niveau national rien ne semble alarmant pour le moment, au niveau local, la situation est plus problématique pour certaines régions. En Auvergne, le département de l'Allier enregistre sa deuxième plus grande sécheresse des 60 dernières années. Plus exceptionnel, la sécheresse gagne le nord de la France. Et à Paris, la pluie n'est pas tombée entre le 21 juin et le 17 juillet. «C'est inédit sur cette période» selon Jérôme Lecou, qui précise encore que «nous ne sommes qu'à la première partie de l'été». Alors à quoi faut-il s'attendre ? «Les nouvelles ne sont pas bonnes. La deuxième quinzaine de juillet s'annonce sèche, voire très sèche, et le phénomène sera assez généralisé.»
Surveiller les nappes phréatiques
Doit-on y voir le spectre du réchauffement climatique ? «La baisse, voire l'absence de précipitations, n'est pas en lien. En revanche, constater deux épisodes de canicule majeurs peu espacés dans le temps, c'est bel et bien symptomatique du réchauffement climatique, avec une chaleur plus intense et répétée plus tôt.» A l'avenir, les sécheresses risquent de devenir plus fréquentes et plus longues, surtout dans les régions méditerranéennes. Les pluies estivales seront plus irrégulières. Déjà parfois violentes, elles ont du mal à s'infiltrer dans des sols très secs et durs, générant localement des crues éclair, comme en Ardèche en août 2018.
Mais à partir de quel moment va-t-il vraiment falloir s'inquiéter ? En France, environ 1 600 sondes placées dans des forages par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) analysent en temps réel le niveau des différentes nappes phréatiques. Des sondes auxquelles s'ajoutent celles placées par les collectivités pour tâcher d'obtenir la plus large photographie possible des ressources en eau disponibles. «Pendant ces périodes, on surveille notamment les nappes qui se situent entre 20 et 150 mètres de profondeur, précise Laurence Gourcy, hydrogéologue au BRGM. Les plus profondes, qui vont jusqu'à un kilomètre, sont moins sensibles à la chaleur. Ce sont nos réserves pour le futur.» On sonne l'alerte lorsqu'une nappe censée alimenter un cours d'eau baisse fortement, car «ça impacte directement la vie aquatique», souligne l'hydrogéologue. Ou lorsque l'une des pompes destinées au forage de l'eau potable est à sec. «Ces éléments aident les préfets à prendre des arrêtés de restrictions d'eau», poursuit-elle. Depuis le 1er juillet, «on a des niveaux plus bas que la normale vers le bassin du Rhône et la Franche-Comté qui ne cessent de s'aggraver», signale justement le météorologue Jérôme Lecou. Et comme toujours, la biodiversité en paie le prix. Dans les Vosges, il y a tous ces sapins à l'agonie aux épines couleur rouille. Le réchauffement de l'eau affecte aussi le comportement des poissons d'eau douce. «C'est un stress pour de nombreux poissons, notamment les espèces d'eau froide comme la truite, le saumon, l'ombre ou encore le chabot, et qui est susceptible d'entraîner de la mortalité», regrette Nicolas Poulet, expert en faune aquatique pour l'Agence française pour la biodiversité (AFB).
C’est aussi un fléau pour les agriculteurs. La grande majorité n’irriguent pas et dépendent de ce qui tombe du ciel. Certaines cultures, comme le maïs, sont très gourmandes en eau à cette époque de l’année. Pile quand la ressource se fait plus rare. Avec la canicule, les pics de consommation d’eau sont aussi importants chez les particuliers. Par ailleurs, quand le débit des rivières baisse, les polluants sont plus concentrés dans l’eau, ce qui peut compliquer le traitement de l’eau potable. La qualité au robinet peut se détériorer dans les petites communes.
Réacteurs nucléaires à l’arrêt
Des pénuries d'eau potable en ville sont-elles donc à prévoir ? Pas impossible, selon France Nature Environnement (FNE). Dans les Deux-Sèvres, Niort est passé à deux doigts de la panne sèche en 2017. Toutes les réserves étaient au rouge. Un risque de plus en période d'incendies : les pompiers se raccordent au réseau d'eau potable. Et la sécheresse pèse aussi sur le secteur nucléaire. La moitié des prélèvements d'eau en France sont destinés au refroidissement des centrales EDF. L'eau est en grande partie restituée au milieu naturel, mais elle est encore chaude… Problématique, quand elle est rejetée dans des rivières à faible débit comme la Vienne. Ce qui n'arrange pas non plus la situation des poissons d'eau douce. Des centrales nucléaires ont déjà été obligées de réduire leurs prélèvements en période de restrictions. L'an dernier, quatre réacteurs ont été mis à l'arrêt à cause de la canicule. La situation pourrait devenir fréquente dans les prochaines années. «Il va falloir penser à la fois transition énergétique et gestion durable de l'eau. Il faut fermer en priorité les centrales les plus difficiles à refroidir», plaide Florence Denier-Pasquier, de France Nature Environnement.
D'ici cinquante ans, les fleuves français pourraient perdre jusqu'à 40 % de leur débit, tandis que le volume d'eau disponible dans les nappes phréatiques pourrait chuter de 10 % à 30 %, selon des données du ministère de l'Ecologie. Il faut désormais davantage veiller à ce que les particuliers, l'agriculture, l'industrie, l'énergie et le tourisme ne tirent pas tous sur la corde en même temps. Nous sommes encore loin de la guerre de l'eau que connaît l'Inde (lire ci-dessous), mais le juste partage de cette ressource limitée devient un enjeu brûlant. «Qui a l'eau a le pouvoir, et c'est d'autant plus vrai en période de sécheresse. Gérer l'eau comme un bien commun est tout un défi», pointe Florence Denier-Pasquier.
Dans le Sud-Ouest, on commence à s'écharper sur les volumes destinés au réseau d'eau potable et ceux affectés à la production hydroélectrique. L'eau étant un produit local, les autorités définissent des plans de gestion au niveau des territoires. «Tout le monde se met autour de la table pour partager le diagnostic sur l'état de la ressource. Puis on détermine ce qu'on peut prélever pour que les cours d'eau restent en bon état», détaille Laurent Roy, directeur de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse.
Repenser l’agriculture
Comment mieux anticiper ? Pour Laurent Roy, la priorité est aux «économies d'eau tous azimuts». D'un côté, plus de sobriété, de l'autre on répare les fuites dans les réseaux d'acheminement, gros facteur de gaspillage. La France est déjà passée de 40 % à 20 % de déperditions. Les particuliers, eux aussi, peuvent chasser les fuites, installer des économiseurs d'eau, récupérer l'eau de pluie pour arroser le jardin. Et les dernières assises de l'eau ont encouragé les industriels à recycler l'eau en interne. Mais cela repose sur de la bonne volonté. Toutefois, les préfets peuvent imposer aux usines de limiter leur consommation. Autre point à développer : les «eaux alternatives». Plutôt que de déverser dans la mer les eaux traitées dans les stations d'épuration, mieux vaut qu'elles servent à arroser les golfs, les espaces verts et même les champs. Cela évite d'utiliser l'eau potable. Une piste intéressante pour le maraîchage ou l'arboriculture. A terme, le goutte-à-goutte peut remplacer le système de canaux pour alimenter les champs. On divise ainsi par cinq la consommation d'eau pour un même rendement. Pour se mettre à l'abri de la pénurie de paille, certains éleveurs diversifient aussi le fourrage avec de la luzerne, peu demandeuse d'eau.
Le Bureau de recherches géologiques et minières réfléchit lui à développer des solutions de gestion de l'eau pour les agriculteurs. «Dans des situations tendues, on a identifié des allocations en eau. C'est-à-dire qu'on donne aux agriculteurs un droit d'eau avec tant de mètres cubes pour toute l'année en fonction du niveau des nappes», explique Jean-Christophe Maréchal, hydrogéologue et directeur d'unité de recherche au BRGM. Pour faire en sorte que les agriculteurs respectent les quotas, l'organisme travaille sur divers instruments économiques. Exemple : s'ils dépassent, ils paieront une taxe supplémentaire. Au contraire, ceux qui respectent les quotas se partageront les bonus. Autre exemple : le contrat de solidarité qui lie plusieurs agriculteurs. Ceux qui ont un surplus d'eau le donnent à leur voisin. Mais pour le moment, pas question de créer un marché dans lequel on vendrait et achèterait de l'eau. «Ça se fait principalement en Australie et au Chili, mais ce n'est pas envisagé chez nous, car en France l'eau est un bien commun et non marchand», poursuit encore le spécialiste.
Les Agences de l'eau encouragent également le développement de l'agro-écologie, modèle plus durable qui repose sur un usage raisonné des ressources. Il faut adapter les variétés cultivées au climat local, qui se réchauffe, diversifier les cultures et remettre des arbres dans les champs. Cette technique, l'agroforesterie, limite l'évaporation de l'eau et fait descendre la température. Les racines des arbres aèrent le sol et freinent l'écoulement des eaux. La préservation et la restauration des zones humides à proximité des cours d'eau sont aussi cruciales. Les prairies permettent par exemple d'absorber comme des éponges ce qui déborde lors des crues. Le BRGM préconise d'ailleurs de réinfiltrer le surplus d'eau dans les nappes. Une solution artificielle qui s'ajoute à celles «fondées sur la nature», les plus efficaces sur le long terme. En ville, le bétonnage limite l'infiltration de l'eau dans le sol. Là aussi, il faut revégétaliser. Lyon va, par exemple, enherber ses voies de tramway pour mieux récupérer l'eau de pluie. Toits et murs végétaux, arbres et jardins permettent de lutter contre la chaleur en ville et d'atténuer le changement climatique en absorbant du CO2.
Dernier levier, plus polémique : la construction de barrages pour former des retenues d'eau artificielles, afin de stocker l'eau l'hiver pour l'utiliser l'été. Une «fausse solution» pour France Nature Environnement, selon qui le procédé contribue à assécher les cours d'eau en aval. «Ça n'est pas tabou mais ce type de stockage doit faire partie d'un panel de solutions», tempère Laurent Roy. «On se crée de fausses sécurités. On va avoir de plus en plus de mal à remplir les barrages. La France a déjà des milliers d'ouvrages. Quand on en rajoute un, il entre en concurrence avec les autres», rétorque Florence Denier-Pasquier, qui ajoute que l'eau stagnante va davantage s'évaporer à cause de la hausse des températures. Pour elle, la meilleure solution pour lutter contre la sécheresse reste celle fournie par la nature : l'infiltration d'eau dans les villes et les campagnes.