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Libération
Récit

Du Louvre à Bercy, la méthode Mitterrand

En 1981, le président ordonne de transférer le ministère des Finances et fait grincer des dents.
Balladur visite le chantier de Bercy, en février 1988. (Photo M. Clément. AFP)
publié le 23 juillet 2019 à 21h26

Faut-il quitter les dorures des palais pour exercer un pouvoir démocratique, transparent et moderne ? Certains le croient. Chargé des grands travaux de François Mitterrand au début des années 80, Yves Dauge a pu prendre la mesure de cet attachement quand il a dû expulser le ministère des Finances de l'aile Richelieu du Louvre, dans laquelle les fonctionnaires campaient depuis 1871. A partir du moment où le président socialiste a annoncé, en septembre 1981, vouloir «rendre le Louvre à sa destination première», presque tous les ministres de l'Economie se sont cramponnés aux moulures, gauche comprise.

«Notre niveau». «En 1984, Pierre Bérégovoy est devenu ministre des Finances et Henri Emmanuelli, secrétaire d'Etat au Budget, raconte Yves Dauge. Les deux nous ont demandé si nous pouvions intervenir auprès du Président pour qu'au moins les ministres puissent rester au Louvre et garder l'usage des appartements du duc de Morny.» Dauge «sonde» Mitterrand, qui répond : «Vous direz aux ministres que s'ils ne quittent pas le Louvre, ils quitteront le gouvernement.» «C'était raide», commente-t-il aujourd'hui. D'autant plus que «ce n'était pas tant les ministres qui tenaient au Louvre, c'était leurs services».

Pour faire passer la pilule, et parce que le chantier du nouveau ministère à Bercy n'est pas terminé, «on a cherché un point de chute, poursuit-il. On a trouvé l'hôtel de Roquelaure, boulevard Saint-Germain», là où se trouve actuellement le ministère de la Transition écologique. «On a dit à Jean Auroux, le ministre du Travail, qu'il fallait qu'il parte. Il a accepté sans discuter. Il avait bien du mérite», se souvient Dauge.

En 1985, l'alternance se profile. Craignant que le nouveau pouvoir ne remette le projet en cause, Jack Lang, ministre de la Culture et Dauge prennent les devants pour créer une situation irréversible : ils font démolir tout ce qui doit l'être pour la suite du projet, y compris le bureau du ministre. Mauvais calcul. «En 1986, Edouard Balladur est devenu ministre de l'Economie. Donc il a pris la suite à Roquelaure, là où on avait mis Bérégovoy, raconte Yves Dauge. Il arrive boulevard Saint-Germain et il nous dit : "Ce n'est pas notre niveau." Roquelaure n'est pas le Louvre, évidemment, mais c'est magnifique…»

Solennité. L'ex-sénateur soupire : «C'est quand même très choquant tout ça. Balladur voulait absolument s'installer rue de Rivoli. Mitterrand a eu beau lui dire qu'il ne pouvait pas revenir comme ça, il l'a fait. On avait cassé tous les décors Napoléon III. Il a fallu réparer et refaire du Napoléon III. Pendant ce temps-là, les travaux du Louvre continuaient, mais on ne pouvait plus travailler le jour, pour ne pas déranger.» Majesté…

Mais Balladur n'était pas seul dans son combat d'arrière-garde. «Dès 1981 en fait, la haute administration a cherché un point de chute pour éviter Bercy, raconte Dauge. Ils avaient repéré un terrain sur le quai Branly [celui de l'actuel musée du Quai-Branly, ndlr], qui avait la bonne taille et qui leur plaisait beaucoup, dans le VIIe arrondissement, dans l'ouest, près de tous les ministères». Décidément très obligeant, le patron du projet Grand Louvre répercute encore une fois cette demande à l'Elysée. Fin politique, Mitterrand botte en touche et répond : «Entendez-vous avec Chirac.» Alors maire de Paris, Chirac n'est pas un grand penseur de la ville mais il écoute son agence d'urbanisme, l'Apur, qui plaide pour un rééquilibrage dans l'est. Alors urbaniste à l'Apur, Jean-Louis Subileau estime que «le ministère des Finances à Bercy, c'est beaucoup le projet de Chirac». Dauge ironise : «Les Finances ont dû accepter cette localisation honteuse.» La solennité des lieux entraîne-t-elle celle des décisions ? «Elle y participe un peu», reconnaît Subileau. Mais des gestes sont plus forts que les dorures. «Virer l'administration des Finances, il fallait oser le faire.»