Une semaine après sa démission, François de Rugy contre-attaque. Affichant un large sourire, il s'est présenté mardi soir sur le plateau du 20 heures de France 2 en «homme blanchi». Dénonçant un «journalisme de démolition» et des «attaques nauséabondes», le ministre déchu a affirmé qu'«aucune règle n'avait été enfreinte», s'estimant dédouané par les deux rapports des secrétaires généraux du gouvernement et de l'Assemblée, critiqués par ailleurs. De son côté, Mediapart «persiste et signe».
Les dîners à l’hôtel de Lassay
Aucune «irrégularité» mais trois dîners familiaux ou amicaux d'un «niveau manifestement excessif», que François de Rugy pourra rembourser. Voici la conclusion mi-figue mi-raisin du secrétaire général de l'Assemblée nationale, Michel Moreau, chargé de faire toute la lumière sur les réceptions mondaines de l'ancien ministre et de son épouse, Séverine de Rugy, à l'hôtel de Lassay entre octobre 2017 et juin 2018. Le 10 juillet, Mediapart avait ouvert le bal en accusant le couple d'avoir organisé de «somptueuses agapes entre amis dignes de grands dîners d'Etat», photos de homards géants et grands crus millésimés à l'appui. En l'occurrence, selon le site, une «dizaine» de dîners rassemblant chacun «entre 10 et 30 convives» qui «appartenaient tous au cercle relationnel et surtout amical de Séverine de Rugy».
Mais pour le secrétaire général de l'Assemblée nationale, ces dîners (neuf en réalité) où se sont croisés journalistes, universitaires et représentants du monde de la culture ne sauraient «être qualifiés de privés», le rapport évoquant par ailleurs un «niveau de prestations culinaires […] conforme aux normes habituelles», sans «aucun produit de luxe».
Une «parodie d'enquête» pour Mediapart, qui a publié mardi soir de nouveaux témoignages d'invités, démontrant selon eux le caractère «amical» de ces dîners. Concernant les trois repas épinglés par l'Assemblée, l'ancien ministre a aussitôt annoncé qu'il réglerait «dans les meilleurs délais les frais engagés».
Les travaux à l’hôtel de Roquelaure
Outre ses dîners privés, François de Rugy a également dû justifier les travaux réalisés dans le logement de fonction de 156 mètres carrés qu'il occupait jusqu'à peu à l'hôtel de Roquelaure, avec sa femme et occasionnellement ses trois enfants. A la suite des révélations de Mediapart sur plusieurs dépenses suspectes réalisées dans ce bâtiment du XVIIIe siècle, une enquête administrative a été commandée par Matignon au secrétariat général du gouvernement afin de vérifier le respect des règles en vigueur. Résultat des courses : les travaux lancés fin 2018, qui vont de la réfection des corniches au «rechampissage» des moulures (16 261 euros TTC, tout de même), en passant par le remplacement des moquettes du couloir ou la pose d'un miroir et d'une barre de douche, s'élèvent à 64 523 euros. Des dépenses globalement justifiées selon l'inspection, qui souligne «qu'aucune rénovation importante ou aucun rafraîchissement de l'appartement» n'avait été réalisé depuis 2003. De ce fait, le «relatif état d'usure des revêtements dans certaines pièces» pouvait «justifier la réalisation des travaux». Le rapport affirme par ailleurs que «les règles de commande publique ont été globalement respectées» et que «certaines dépenses d'ameublement ont été ajustées à la baisse».
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Une nuance, toutefois : la rapidité avec laquelle certaines commandes ont été passées, notamment pour la réalisation d'un dressing sur mesure facturé près de 17 000 euros. «Force est de constater que la commande semble avoir été passée avec une relative urgence et que le devis n'a pas été ajusté en envisageant par exemple un degré de finition moindre», pointe le rapport. Mais là encore, la dépense apparaît justifiée aux yeux de Matignon. Les agents du ministère auditionnés ont ainsi souligné le «manque de capacité de rangement dans ce type de logement ancien, alors même que la famille du nouveau ministre est constituée de cinq personnes».
Rien à signaler non plus sur les quelque 10 000 euros dépensés par le couple, qui a fourni la liste exhaustive des emplettes, dans laquelle on trouve pêle-mêle un paravent acheté à la Redoute (118,99 euros), un lit Ikea (876,01 euros) ou une machine à café des galeries Lafayette (99 euros). «Aucune irrégularité imputable au ministre», conclut le rapport.
Ces enquêtes sont-elles indépendantes ?
A peine connus les résultats des enquêtes internes, certains responsables politiques se sont empressés de remettre en cause leur impartialité. «Pas crédible», a jugé la députée des Deux-Sèvres Delphine Batho. «Un peu comme si Bayer-Monsanto disait que le glyphosate n'était pas nocif pour la santé», a ironisé Manon Aubry (LFI). Outre la célérité des investigations et l'endogamie même du contrôle, les critiques se sont portées sur les auteurs des rapports, en particulier le secrétaire général de l'Assemblée nationale, Michel Moreau, nommé fin 2016 sous François Hollande. «Michel Moreau gagne près de 20 000 euros par mois, dispose d'un appartement de fonction de plus de 180 mètres carrés et d'un majordome. Autant de privilèges auxquels Rugy n'avait pas voulu toucher après une enquête de Radio France», a taclé sur Twitter Fabrice Arfi, coresponsable des enquêtes à Mediapart.
Egalement visée, la déontologue de l'Assemblée nationale, Agnès Roblot-Troizier. «Elle a été nommée par François de Rugy, rappelle le socialiste Olivier Faure. Il y a un côté assez baroque à devoir être contrôlé par quelqu'un qui vous doit sa propre fonction.» Même critique à l'encontre du secrétaire général du gouvernement, chargé à la fois d'autoriser les dépenses et de les contrôler. En l'espèce, l'enquête sur les travaux a été conduite par la contrôleuse générale des armées, Virginie Aubard, cheffe de la mission d'organisation des services de Matignon, assistée d'un membre de son équipe et de deux agents de la direction des services administratifs et financiers du Premier ministre. Des «fonctionnaires rigoureux», s'est défendu Matignon, tout en annonçant qu'une «nouvelle circulaire» compléterait les règles déjà édictées au début du quinquennat, notamment «pour renforcer le process de contrôle des travaux dans les logements de fonction».
La question de l’IRFM
Judiciairement, c'était le point le plus litigieux pour l'ancien ministre. A la suite des révélations de Mediapart, François de Rugy a lui-même admis avoir utilisé une partie de ses frais de mandat pour payer des cotisations à son parti : 7 800 euros en 2013, 1 400 euros en 2014. Une pratique jugée abusive par la déontologue de l'Assemblée depuis 2013, et formellement proscrite depuis une circulaire de 2015. La manœuvre apparaissait d'autant plus problématique que Rugy a ensuite déclaré ces sommes au titre des dons aux partis politiques, ce qui lui a permis de profiter d'une déduction fiscale.
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Mais l'ancien ministre affirme aujourd'hui que ces sommes ont en réalité été remboursées. En deux fois, selon le Canard enchaîné. depuis son compte personnel au Crédit coopératif de Nantes sur son compte IRFM : 6 500 euros en août 2014, puis 3 200 euros en juillet 2015. En d'autres termes, les «emprunts» originaux s'apparentaient en fait à une «avance de trésorerie».