Pour beaucoup, il restera comme le journaliste ayant révélé en 1979 l'affaire des diamants de l'empereur Bokassa, dans le Canard enchaîné, contribuant à sa mesure à la non-réélection de Valéry Giscard d'Estaing deux ans plus tard. Incontestable haut fait d'armes du métier, et rien que pour cela il en sera éternellement loué, même si en 2008 il a bémolisé l'ampleur du scandale. Mais Pierre Péan, mort jeudi soir à 81 ans à l'hôpital d'Argenteuil (Val-d'Oise), a également incarné la subjectivité, voire les impasses du journalisme engagé.
Solide inimitié
Péan n’était pas de gauche. Natif de la Sarthe, il se met très vite, jeune étudiant à Sciences-Po dans les années 70, au service de décideurs locaux du centre de la France comme Jean Turc, maire Cnip d’Angers, puis Joël Le Theule, député maire RPR de Sablé-sur-Sarthe, futur ministre et mentor de François Fillon, avec lequel Péan n’aura jamais d’accointance particulière.
Un de ses contempteurs le qualifie de «mitterrandiste de droite», au risque du pléonasme : au nombre de ses livres à succès, il y a Une jeunesse française (Fayard, 1994), où Pierre Péan accouche un Mitterrand vieillissant de la francisque qui lui avait été remise sous l'Occupation par le maréchal Pétain - photo à l'appui : il était enfin temps que cette chose-là soit dite et racontée, avec imprimatur d'un président encore en vie. Assurant le service après-vente du bouquin, Pierre Péan le journaliste proclame qu'il n'entendait pas flinguer le taulier de l'Elysée, juste le faire avouer avant sa mort. Ce qui fut fait, les historiens s'en félicitant depuis. Outre la politique, le rédacteur s'est également confronté aux médias, avec deux livres à charge contre des monuments historiques : TF1, un pouvoir (avec Chistophe Nick, Fayard, 1997), puis la Face cachée du Monde (avec Philippe Cohen, Mille et Une Nuits, 2003). D'où une solide inimitié avec Edwy Plenel, qu'il accusait de suivisme d'affaires judiciaires en cours quand lui, Péan, menait des enquêtes de sa propre initiative, tout seul dans son coin.
«Bizarre»
Plusieurs révélations de Mediapart, le site fondé par Plenel, prouveront par la suite le contraire. Mais Pierre Péan martèle son propos en 2014 dans le Figaro : «Je n'ai pas envie de tuer, je ne cherche pas à traîner les gens sur les bancs de la justice, à les faire condamner. Je ne me vois pas comme un bras armé, ce n'est pas ma vocation.» Ce journaliste emblématique a aussi été rattrapé par son tropisme africain, lui qui avait fait sa coopération au Gabon dans son antique jeunesse. Pierre Péan fut l'un des principaux contempteurs de la Françafrique, s'opposant frontalement à Jacques Foccart, figure tout aussi emblématique du gaullisme dévoyé. Au risque de la subjectivité, prenant volontiers parti dans des affaires en cours. Dédouanant le régime libyen dans l'attentat contre le DC10 d'UTA, au grand dam des familles des victimes - un avocat de la partie civile se souvient d'un «personnage, bizarre, insaisissable, dont on ne savait pas quel était le moteur». Et surtout prenant dans son livre Noires Fureurs, Blancs Menteurs (Mille et Une Nuits, 2005) le parti des Hutus contre les Tutsis et en s'acharnant à relativiser le génocide du Rwanda «sans jamais y avoir mis les pieds», s'insurge une consœur.
«Curiosité»
Plus récemment, Péan n’avait pas hésité à prendre le parti de l’opposant Jean Ping contre Ali Bongo lors de la dernière élection présidentielle au Gabon… Subjectivité assumée, le journalisme ne relevant pas d’une science exacte, mais quitte à nuire à la qualité de ses enquêtes au long cours dont il se vantait, par opposition aux médias traditionnels. Pierre Péan a eu le mérite de ratisser large, de s’intéresser à tout, du business du «French doctor» Bernard Kouchner à l’entrisme d’un Alexandre Djouhri, en passant par la guerre du Kosovo ou les vicissitudes de la famille Le Pen. Qui embrasse trop mal étreint, dira-t-on. Pierre Péan a au moins essayé.
«C'est terrible. Le patron, mon ami, est parti. C'était un géant, le temps long contre l'immédiateté. Sa mort est pour tous les journalistes l'occasion de se regarder en face», a déploré jeudi son ancien coauteur Christophe Nick. Au nom de Reporters sans frontières, Christophe Deloire (ex-journaliste au Parisien) a évoqué une figure du métier «qui aura marqué l'histoire de la presse et de l'édition avec la puissance de sa curiosité et de ses convictions». Au risque de la promiscuité entre les deux.