Menu
Libération
Récit

ADP : Les partis en campagne pour ne pas enterrer le RIP

Après un démarrage en fanfare en juin, le nombre des signataires réclamant un référendum d’initiative partagée sur la privatisation d’Aéroports de Paris stagne. Elus de droite comme de gauche espèrent un sursaut à la rentrée, déplorant l’inaction, voire les bâtons dans les roues, du gouvernement.
A Paris, le 13 juin, une délégation de députés sort d'une réunion avec le ministre de l'Intérieur. (Photo Denis Allard)
publié le 29 juillet 2019 à 21h06

Au pied du pont Alexandre-III, sur les bords de Seine, une trentaine de personnes agitant des drapeaux aux couleurs du Parti socialiste comme autant d'éventails affrontent soleil de plomb et températures caniculaires. Paris est à la veille de son record absolu de chaleur. «J'ai perdu 3 kilos», rigole Boris Vallaud, député PS des Landes. Au sens propre comme au sens figuré, Valérie Rabault, présidente du groupe PS à l'Assemblée nationale, Rémi Féraud, sénateur socialiste de Paris, et une poignée de militants mouillent la chemise pour distribuer des tracts contre la privatisation d'Aéroports de Paris et pour la tenue d'un référendum d'initiative partagée (RIP), une procédure constitutionnelle inédite déclenchée par les oppositions de droite comme de gauche au début de l'été. Sur les quais, quelques passants occupés à trouver un coin où se mettre à l'ombre acceptent de signer la pétition sur une tablette tactile. Johamia, 24 ans, n'était pas au courant de cette campagne. «Pourtant je regarde la télé, remarque la stagiaire en aéronautique. Ça nous concerne ! Je voyage beaucoup et je ne voudrais pas que cette privatisation m'affecte financièrement.»

«Politesse»

Mais pour qu'un référendum soit vraiment organisé à l'échelle nationale, il faut récolter 4,7 millions de signatures avant le 12 mars 2020, dernier carat. Et on en est loin, très loin. Après un démarrage en fanfare, on recensait lundi un total de 578 000 signatures, le compteur ralentissant depuis quelques semaines en raison, notamment, de la pause estivale. Si les parlementaires voulaient marquer le coup avant les vacances, ils assurent tous que la collecte de signatures va redécoller à la rentrée. Les plus optimistes pensent même qu'il n'est pas obligatoire d'atteindre les 4,7 millions de signatures. Au terme du grand débat au printemps, Emmanuel Macron a lui-même dit que le RIP devait être conforté et simplifié, en abaissant le nombre de signatures à 1 million, rappelle Boris Vallaud en s'essuyant le front. «Si le taux de recours est faible parce que les gens ne connaissent pas leurs droits, on aura disqualifié cet outil démocratique», prévient le député socialiste.

Depuis qu'ils se sont lancés dans l'aventure du RIP, élus de droite comme de gauche dénoncent les bâtons dans les roues du gouvernement, accusé de tout tenter pour faire échouer la procédure. Vêtus de leurs écharpes tricolores, une poignée d'élus a multiplié pendant le mois de juillet les rendez-vous et les conférences de presse pour maximiser l'écho de l'opération RIP. «L'attachement à la démocratie devrait obliger au devoir d'information», souligne Sophie Taillé-Polian, sénatrice PS du Val-de-Marne.

Dans les mairies, des registres ont été ouverts pour récolter les signatures de ceux qui n'ont pas accès à Internet. «Nous avons évidemment signé dans les premiers. Les gens peuvent signer dans les quartiers», souligne la maire de Lille, Martine Aubry. Alors que certains partisans du RIP réclament une campagne d'information sur les chaînes de la télévision publique, la maire de Lille sourit : «Il ne faut quand même pas demander au gouvernement de se tirer une balle dans le pied. C'est à nous de faire le travail militant et on le fait !»

La semaine dernière, une délégation représentant les 248 parlementaires à l'initiative du RIP a quand même été reçue au Conseil supérieur de l'audiovisuel pour protester contre le manque d'information aux citoyens. «Le CSA nous renvoie au gouvernement. C'était plutôt un rendez-vous de politesse», décrypte après coup François Pupponi député Libertés et Territoires (groupe qui rassemble divers députés centristes) du Val-d'Oise. «Le CSA s'est abrité derrière la loi. Il estime qu'il n'a pas de devoir d'information particulier pour le RIP», déplore François Cornut-Gentille, député Les Républicains de Haute-Marne. Dans un communiqué après la rencontre, le CSA a expliqué qu'il appartenait «aux médias audiovisuels, publics ou privés de déterminer librement les modalités d'information des citoyens, dans le respect des règles de pluralisme et d'honnêteté de l'information en vigueur». Statu quo, donc.

«Minimum syndical»

Le même jour, des parlementaires étaient reçus par Christophe Castaner. Au menu : le bilan du fonctionnement du site internet de recueil des soutiens et le déroulement de la campagne. Même s'il note de légères améliorations du site internet, le LR Cornut-Gentille estime que de nombreux dysfonctionnements persistent : «Il y a des personnes qui ne trouvent pas leur ville. […] Ils se sont engagés à ce que le numéro Insee ne soit plus demandé. Nous aimerions savoir combien de personnes décrochent pendant leur tentative d'inscription pour avoir une idée du nombre de bugs.» Au ministère de l'Intérieur, on reconnaît sans trop de problèmes que l'outil n'est ni attrayant ni moderne. Boris Vallaud abonde : «Nous avons réitéré notre demande d'avoir un décompte plus régulier que le décompte mensuel pour l'instant proposé. Nous avons obtenu que le ministre interroge le Premier ministre pour savoir si les moyens du Service d'information du gouvernement (SIG) peuvent être mobilisés afin que des messages à but informatif sur ce droit civique puissent être diffusés.» Pour Eric Coquerel, il y a «un problème de loi au départ». Le député La France insoumise milite pour l'anonymat des signatures : «Si vous travaillez chez ADP, vous ne souhaiterez pas que votre nom figure dans la liste des signataires.» Après ce rendez-vous, le ministre de l'Intérieur s'est engagé à demander aux préfets d'écrire à tous les maires afin qu'ils puissent informer leurs administrés de l'existence du RIP et que l'information figure sur les sites internet des préfectures. Les partisans du RIP sur ADP souhaitent également que l'ensemble des consulats soient saisis pour recueillir les signatures des 1,82 million de Français enregistrés à l'étranger.

Quant à une campagne officielle, Castaner botte en touche, expliquant ne pas avoir de budget pour ça. «C'est anormal si on compare avec les 12 millions d'euros de campagne mis sur la table pour le grand débat national», peste Eric Coquerel. En réalité, fait valoir François Pupponi, «on a le sentiment qu'il ne lèvera pas le petit doigt pour que le référendum se passe bien. Il va faire le minimum syndical». Face à ce «problème d'information très fort», les parlementaires n'excluent pas d'écrire à Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, à la rentrée pour l'interroger sur l'absence d'obligation d'information des citoyens dans la loi encadrant le RIP et tenter d'y remédier. Dans l'intervalle, on fait avec les moyens du bord. Côté PS et LFI, on pioche dans le budget national pour financer la campagne d'information sur le référendum, de l'impression des tracts à l'organisation de réunions publiques. Côté LR, c'est plus compliqué puisque les tenants du RIP ne sont pas majoritaires, ce qui les prive de fonds venant du parti.

Le mois d’août étant peu propice à la mobilisation politique, les partisans du RIP ont désormais les yeux braqués sur la rentrée, pour relancer la course aux signatures. Au PS, on annonce quelques initiatives en régions mais surtout un stand dédié à la privatisation d’Aéroports de Paris lors du «CamPuS19», la nouvelle université d’été du parti à La Rochelle du 23 au 25 août.

«Libre cours au privé»

Comme début juillet, parlementaires de droite et de gauche vont de nouveau faire estrade commune. «A la rentrée, des réunions publiques pluralistes avec LFI, LR, le PCF, le groupe Libertés et Territoires auront lieu entre autres à Toulouse, Créteil, Thionville», détaille le socialiste Boris Vallaud. Sur le fond, les arguments sont rodés. François Cornut-Gentille rappelle que ADP est une entreprise publique «plutôt bien gérée qui gagne chaque année de l'argent et reverse des dividendes à l'Etat» et que «le gestionnaire d'un aéroport a un droit de vie ou de mort sur les compagnies aériennes». Dans le cas d'ADP, cela mettrait en grande difficulté Air France, alerte le député. «La privatisation c'est laisser libre cours au privé d'augmenter les prix et le nombre de vols avec une augmentation du bruit, fait valoir de son côté la sénatrice verte Esther Benbassa. Il y aura une hausse des ouvertures de magasins au détriment des terres agricoles. Tout cela ne permet pas de lutter contre le réchauffement climatique.»

Fin août, les insoumis se sont donné rendez-vous à Toulouse pour leurs «Amfis» d'été, où ils dresseront un stand ADP avant de clôturer par un grand meeting sur la privatisation des aéroports et le référendum en présence de Luc Carvounas, député PS du Val-de-Marne, Elsa Faucillon, députée PCF des Hauts-de-Seine, Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice rattachée au groupe communiste auxquels se joindront «un député LR, un syndicaliste de la CGT et Raphaël Pradeau, le porte-parole d'Attac», précise-t-on à LFI. Il y aura probablement de l'écho dans les rues de la ville, puisque EE-LV y organise aux mêmes dates ses «journées d'été» et qu'ils ont prévu un débat «contre les privatisations et les dérives des aéroports». Même si les températures sont redescendues, les opposants à la privatisation d'ADP n'ont pas fini de se remontrer les manches.