«Il est rare que Steve ne donne pas de nouvelles», reconnaissait Alex le 22 juin, jour de la disparition du jeune homme. La livreuse de 24 ans fait partie de la bande de copains de jeunesse de Steve, héritée de La Chapelle-sur-Erdre, sa ville d'enfance. Très vite, elle contacte Morgane, une amie appartenant à un groupe de potes de Steve rencontrés plus récemment. «Les deux cercles se connaissaient un peu, alors on a échangé des messages pour voir si quelqu'un savait où il était», raconte Alex.
Le lundi 24 juin au matin, Steve n'est pas à son poste de travail pour accueillir les élèves au portail d'une école de Treillières. Ce petit bourg propret, bouffi de nouveaux lotissements, est situé à quarante minutes de Nantes. Steve y vivait avec son père depuis quelques années. L'inquiétude y monte très vite, notamment parce que, depuis son embauche comme animateur périscolaire il y a deux ans, Steve n'avait «jamais été en retard», dixit des collègues qui décrivent entre deux silences un jeune homme affable, adorant les gamins et réciproquement. «Quand on a expliqué aux enfants qu'il avait disparu, certains ont demandé à ce qu'il revienne. D'autres ont pleuré. Des élèves ne rentrent plus dans la salle où il travaillait souvent parce qu'il n'y est plus. Il était toujours en effervescence, et là ça fait un vide.»
Théâtre
A l'école, Steve avait fini par trouver sa place dans l'équipe et auprès des enfants. A la rentrée, il devait y lancer une activité théâtre. «Il en avait fait plus jeune. Je crois que ça l'avait beaucoup aidé», glissait une collègue mi-juillet, lâchant dans un soupir : «Il avait des projets.» Mettre de l'argent de côté, par exemple, pour trouver un studio ou rembourser son nouveau téléphone. Lundi, alors qu'on apprenait que le corps repêché dans la Loire était bien celui de Steve, une quadra qui avait fait du théâtre avec le jeune homme à La Chapelle-sur-Erdre nous confiait : «Je l'ai connu quand il avait 12-13 ans. Il n'était pas très heureux, alors il avait besoin de s'épanouir là où il n'était pas jugé. C'est ce qui lui plaisait dans la troupe des ados. Au début, théâtralement, il n'était pas très bon, mais il avait envie de progresser. Il n'avait aucun souci à s'entendre avec des gens différents. Il avait des copains de son âge, mais il s'entendait bien aussi avec des gens de la troupe. Adulte, il nous a beaucoup aidés, super serviable, toujours présent pour nous filer des coups de main.»
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Pour son amie Morgane, «Steve n'était pas un rebelle». Le week-end qui a suivi sa disparition, il aurait dû suivre un pote au Defqon.1, un festival de musique techno néerlandais dont ce fan de hardstyle - un sous-genre rythmé par des sons de synthé distordus - parlait sans cesse. L'ami qui devait l'accompagner y est allé sans lui. «Il a scanné la place de Steve. Comme ça, symboliquement, il y est allé, relate Alex en souriant tristement. Du matin au soir, il écoutait du son de teuf.» Les derniers temps, sur Messenger, Steve bombardait Morgane de morceaux découverts avec délectation. «Il y en avait tellement que parfois j'oubliais un peu de répondre», s'excuse la jeune femme.
Sur les dessins faits par les enfants de Treillières, entre les cœurs multicolores et les mots mélancoliques, Steve porte un casque de musique. Celui qu'il avait vissé sur les oreilles quand il se rendait d'un pas rapide à l'école, «mais qu'il enlevait toujours pour dire bonjour», insiste une collègue. Lors de ses nombreux week-ends en free party, Steve Caniço «ne dansait pas. Il courait dans tous les sens autour des enceintes et de temps en temps sautait sur ses potes pour leur faire un câlin», se marre Aliyaska.
«Sensible»
La drogue ? Il n'y touchait pas selon ses proches. Et il ne tenait pas l'alcool, se contentant de bières aromatisées. «On ne veut pas qu'il ait une image salie, qu'on dise qu'il est tombé parce qu'il s'est drogué, appuie sa mère. Parce que ce n'est pas le cas.» «Sensible» : le mot revient dans la bouche de tous ceux qui le fréquentaient. Steve Caniço pouvait fondre en larmes pour une bonne nouvelle, une musique ou un film. Il était fan des superhéros de Marvel, de Harry Potter. Un grand enfant qui ne supportait pas la violence, esquisse-t-on à l'école de Treillières, arrêtant les bagarres en prenant les gosses à part sans jamais hausser le ton. On devine un garçon qui avait souffert. De son strabisme, notamment, qu'il prévoyait de faire opérer. Il parlait beaucoup, mais jamais de lui. Il avait eu une copine il y a quelque temps - elle a découvert sa disparition en tombant sur un des avis de recherche placardés par ses potes dans Nantes.
Au cours des semaines qui ont suivi le drame, des DJ de plusieurs soirées techno ont coupé leurs enceintes le temps d'une minute de silence en hommage au jeune homme. Des organisateurs de la «Nuit des meutes», un événement national prisé du monde de la free party, ont invité à se rendre devant les préfectures «pour Steve et toutes les victimes de la répression». Morgane raconte comment, au petit matin d'une teuf, les larmes lui sont venues en écoutant les DJ préférés de son pote disparu. Elle imagine Steve perdu dans le noir, apeuré, chutant dans la Loire. Il ne savait pas nager. Un autre ami raconte : «Quand il venait dans ma piscine, j'essayais de lui apprendre à nager, c'était pas son genre de sauter à l'eau.»