«Tu vas l'encadrer ta lettre ?» Sur le parking de l'usine WN Factory (ex-Whirlpool), à Amiens, Christophe, 42 ans, tente d'arracher un sourire à son collègue et ami Geoffrey, 42 ans lui aussi. Geoffrey, amer : «Non, je vais la brûler !» Dans trois semaines, ces deux anciens opérateurs de WN, également ex-salariés de Whirlpool, reviendront sur le site où ils ont travaillé ensemble pendant vingt-deux ans pour retirer leur lettre d'embauche ou de licenciement. A quitte ou double.
Leur usine, WN Factory, a été placée en redressement judiciaire début juin. La reprise de l'usine par un proche d'Emmanuel Macron avait été présentée pendant la campagne présidentielle par le futur président comme une solution après la délocalisation en Pologne de l'activité de production de sèche-linge de Whirlpool. Elle a tourné au fiasco industriel. Ce mardi après-midi, les juges du tribunal de commerce d'Amiens ont officiellement désigné Ageco comme repreneur. Sur les 182 salariés de WN, seuls 44 seront repris. Les autres se retrouveront au chômage. Parmi les 138 licenciements économiques, 94 concernent des opérateurs. Les emplois les moins qualifiés de l'entreprise représentent 68% des postes non repris.
C'est un nouveau drame social dans ce bassin déjà laminé un an plus tôt par le départ de Whirlpool. «On a une pensée pour ceux qui ne seront pas repris. Nous, on a dit quels étaient les postes dont nous avons besoin, mais on ne connaît pas encore les noms de ceux qui vont nous rejoindre. On le saura le 19 août», annonce François Company, l'un des dirigeants d'Ageco, à la sortie du tribunal de commerce, dans le centre-ville d'Amiens.
Le volontarisme du repreneur…
Dans sa décision, le tribunal a inscrit des conditions strictes de suivi de cette reprise. On y lit : «La société Ageco Agencement devra communiquer dans les quinze jours suivant la fin de chaque trimestre une comparaison entre ses réalisations économiques et son budget prévisionnel pendant une durée de deux ans.» Un contrôle des comptes de l'entreprise pour éviter un nouvel échec économique et social. «Logique et raisonnable», commente François Company accompagné de son associé Antoine Gerard-Shine. Les deux fondateurs d'Ageco assurent avoir réclamé eux-mêmes ce suivi. Personne ne souhaite reproduire ce qui s'est passé pour WN.
François Company (gauche) et Antoine Gerard-Shine (droite), directeurs associés de Ageco Agencement, dans l’usine où ils ont convié la presse à Amiens, le 30 juillet 2019. Photo Aimée Thirion pour Libération
Fin mai, un audit, souhaité par la préfète de la Somme, a révélé publiquement que la trésorerie de WN était vide. Ensuite, tout s'est enchaîné très vite jusqu'à l'annonce ce mardi de la reprise par Ageco. L'Etat, la région Hauts-de-France et Amiens Métropole prêteront 3,5 millions d'euros pour accompagner Ageco dans cette reprise et l'aider dans son développement. En début d'année, l'entreprise a installé son premier site de production de meubles en bois destinés à aménager des commerces et des collectivités, dans un des anciens bâtiments de Whirlpool. «La première fois qu'on a visité ici, il y avait des piles de sèche-linge jusqu'au plafond», se souvient Antoine Gerard-Shine. Aujourd'hui, 65 personnes travaillent pour sa société, bientôt rejointes par des ex-WN. «Ageco, c'est une entreprise qui génère des millions d'euros de bénéfices. Les salariés repris vont arriver dans une dynamique différente», promet François Company.
…et la tristesse des salariés
Peut-on imaginer d'autres embauches parmi les anciens WN, à plus long terme ? «Notre job, c'est de créer du boulot sur le site. Après, c'est le carnet de commandes qui guide notre activité», poursuit le patron, prudent. «Personnellement, je crois à une réindustrialisation du site», espère Serge Touttain, le représentant des salariés auprès du tribunal de commerce. En attendant, les dirigeants disent «bienvenue» à leurs futurs employés. Avec eux, ils souhaitent augmenter la production de meubles en bois, lancer la production de meubles métalliques, poursuivre la fabrication de pylônes pour ascenseurs et développer le projet de box connectés pour les commerces. Un enthousiasme qui tranche avec la tristesse des salariés de l'ex-usine Whirlpool, dont Christophe : «C'est un désastre humain, je pars en vacances avec la tête encore à l'usine.»