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Jean-François Bohnert, nouveau sire du Parquet national financier

Le procureur général de Reims a été proposé pour prendre la tête de l’institution créée après l’affaire Cahuzac. Sauf surprise, le magistrat devrait succéder à Eliane Houlette.
Jean-François Bohnert, alors procureur à la cour d’appel de Reims, en janvier 2016. (Photo François. Nascimbeni. AFP)
publié le 31 juillet 2019 à 20h16

Le Parquet national financier (PNF) devrait avoir un nouveau visage à la rentrée. Jean-François Bohnert, 58 ans, vient d’être proposé par la chancellerie pour prendre la tête de la prestigieuse institution, créée en 2013 dans la foulée du scandale Cahuzac afin de traquer la grande délinquance en col blanc. Si le Conseil supérieur de la magistrature délivre un avis conforme à l’issue de son grand oral, le magistrat pourrait donc prendre le poste dès septembre, mettant fin à deux mois d’intérim.

Actuellement procureur général de Reims après être passé par Dijon, Bourges et Rouen, Bohnert est moins connu pour son expérience en matière économique et financière que pour son prisme international, un atout jugé tout aussi important pour la fonction, au moins trois quarts des enquêtes menées par le PNF ayant des ramifications à l’étranger. Parfaitement trilingue, l’Alsacien a été magistrat de liaison en Allemagne trois ans avant de devenir numéro 2 d’Eurojust, l’agence européenne chargée de renforcer la coopération judiciaire entre les Etats membres. Un profil qui lui a permis d’être le candidat officiel de la France pour prendre la tête du nouveau parquet européen, qui pourra bientôt diligenter des enquêtes sur les atteintes aux intérêts économiques de l’Union. Mais après des mois de bras de fer, Jean-François Bohnert a finalement dû jeter l’éponge face à sa rivale roumaine, la magistrate anticorruption Laura Codruta Kövesi.

«Surréaliste»

Une issue qui donne à sa nomination probable au PNF un air de «lot de consolation», expression qui revient régulièrement dans la bouche des témoins interrogés. «Le recaser en le nommant à un des plus beaux postes de la magistrature a quelque chose d'assez surréaliste, raille un procureur. D'autant que les candidatures étaient nombreuses.» Parmi la vingtaine de prétendants recalés, le procureur général de Bastia, Franck Rastoul, la directrice du Service national des douanes judiciaires, Nathalie Bécache, ou encore Anne Kostomaroff, actuellement à la tête de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc). Egalement évincé, Bruno Dalles, l'ancien patron de Tracfin, le service de renseignement de Bercy, auquel l'Elysée aurait d'emblée barré la route malgré sa compétence unanimement reconnue.

La suspicion d’une nomination politique à ce poste clé apparaît aujourd’hui d’autant plus vive que l’arrivée de Rémy Heitz à la tête du très sensible parquet de Paris, en novembre, avait déjà suscité de nombreuses critiques au sein de la magistrature, notamment en raison de l’activisme de l’Elysée dans le processus de désignation.

Bilan flatteur

En quittant son poste fin juin, Eliane Houlette a reconnu que le PNF avait longtemps été perçu comme un «parquet politique», tout en affirmant avoir donné des gages de son indépendance en dépit des pressions. «Au départ, personne n'y croyait», confiait-elle alors en vantant son bilan flatteur. Parmi les dossiers les plus emblématiques traités par l'institution, l'affaire Fillon, contre qui le parquet a requis un renvoi en correctionnelle pour «détournement de fonds publics», «abus de biens sociaux» et «escroquerie aggravée», ou l'enquête sur la banque UBS, qui s'est soldée par une amende record de 3,7 milliards d'euros.

Difficile de nier qu’en cinq ans le PNF a réussi à s’imposer comme un élément central du paysage judiciaire français. Mais les chantiers restent nombreux pour le successeur d’Eliane Houlette, qui devra notamment étoffer ses effectifs et développer des relations avec certains pays aujourd’hui peu coopératifs, comme la Chine ou l’Inde. Jean-François Bohnert aura aussi en charge plusieurs dossiers judiciaires politiquement sensibles, comme le volet russe de l’affaire Benalla ou l’enquête sur Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, soupçonné de prise illégale d’intérêts. Autant de dossiers qui permettront de jauger l’indépendance du nouveau procureur financier.