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Analyse

Municipales : le zig de l’Elysée, le zag de Matignon

LREM et ses alliés, qui ont déjà désigné une centaine de candidats en vue des élections de 2020, sont divisés sur la stratégie à adopter. Si certains pensent qu’il faut aller au front partout, d’autres, autour du Premier ministre, aimeraient privilégier les accords locaux, en gardant en tête la présidentielle.
Emmanuel Macron et Edouard Philippe aux Invalides, en mars 2018. (Photo Marc Chaumeil)
publié le 1er août 2019 à 18h46

Les marcheurs ont beau être en vacances, les futures municipales les plongent en plein doute existentiel. Quelle est, au fond, la raison d’être du mouvement créé en 2016 pour porter l’ambition présidentielle d’Emmanuel Macron ? Doit-il assurer sa pérennité et renforcer son ancrage territorial en faisant élire un maximum de candidats étiquetés La République en marche (LREM) au printemps ? Ou plutôt donner la priorité absolue aux alliances qui faciliteront la réélection du chef de l’Etat en 2022, quitte à s’effacer ?

Ces deux objectifs ne sont pas nécessairement contradictoires. Mais le scrutin de mars 2020 ne s'aborde pas de la même manière selon que l'on privilégie l'un ou l'autre. Pour les premiers, il s'agit d'aller le plus souvent possible à la bagarre, quand les seconds veulent avant tout composer avec les sortants, de gauche comme de droite, dès lors qu'ils se montreraient bien disposés à l'égard de la majorité. Pour les premiers, LREM a vocation à survivre à son fondateur, comme tentèrent de le faire jadis le parti gaulliste RPF et ses divers avatars. Les seconds n'en sont pas si sûrs. Avec le Premier ministre, Edouard Philippe, ils constatent que «la poutre travaille encore» et que nul ne saurait dire à quoi ressemblera le paysage politique quand ce «travail» aura produit tous ses effets. En attendant, il s'agit d'être «pragmatique» et de rassembler tous ceux qui peuvent se réclamer du «progressisme» sans leur demander de rejoindre le parti En marche. Exactement comme Edouard Philippe, ex-cadre juppéiste de l'UMP, qui a accepté de devenir chef du gouvernement sans pour autant adhérer à LREM…

Une réponse méthodique

Confrontés à cette incertitude théorique, les apôtres du macronisme sont eux-mêmes hésitants. Dans une tribune publiée par le Journal du dimanche quelques jours après les européennes, la secrétaire d'Etat Marlène Schiappa et les députés LREM Laurent Saint-Martin et Olivia Grégoire célèbrent «le dépassement du traditionnel clivage gauche-droite» et appellent les adhérents de LR, d'EE-LV, du PS - et même ceux du Parti animaliste qui viennent de réaliser un petit score très inattendu - à «faire passer leur pays avant leur parti», à se mettre «au service de la prochaine génération, plutôt qu'au service des prochaines élections». Comment ? En rejoignant un parti, le leur, concluent les trois marcheurs, sans peur du paradoxe.

Trois jours plus tôt, dans une tribune publiée par le Monde, les idéologues du macronisme Ismaël Emelien et David Amiel s'étaient pourtant défendus de vouloir faire du clivage progressistes-populistes l'horizon indépassable des démocraties contemporaines. Réponse méthodique au vote populiste, le macronisme aurait plutôt, selon eux, l'ambition de faire émerger de nouveaux clivages afin de rendre de nouveau possible un «débat riche d'alternances constructives».

C’est dans ce brouillard théorique que la majorité se prépare à affronter sa troisième bataille électorale, après les législatives de 2017 et les européennes de mai. Complexes et inconfortables, les municipales mettent au jour des ambiguïtés et des contradictions que s’efforce de surmonter, sous le regard vigilant de l’Elysée, la commission nationale chargée de décider des investitures (CNI) dans près d’un millier de villes de plus de 9 000 habitants. Une centaine de candidats ont été désignés avant la pause estivale. Certains étant déjà contestés, la reprise des travaux de la CNI, à partir du 28 août, s’annonce périlleuse. A Angers, Nice, Toulouse, Niort, Orléans, ce sont des marcheurs qui protestent contre l’investiture donnée ou promise à des maires sortants qu’ils combattent depuis deux ans.

«Au tout début du processus»

Ailleurs, ce sont au contraire des maires réputés Macron-compatibles qui s'étonnent de devoir affronter un candidat LREM. Pour compliquer le tout, de Dijon à Clermont-Ferrand, on voit fleurir des oppositions entre élus municipaux Modem (allié de LREM à l'échelon national) qui défendent leur position face à d'intrépides macronistes pressés de surfer sur la vague dégagiste. A Paris, cerise sur le gâteau, les marcheurs se disputent les morceaux de la vraie croix. Le député LREM Cédric Villani proteste : sa démarche disruptive et originale serait bien plus fidèle à «l'esprit» du macronisme que celle de son concurrent Benjamin Griveaux, candidat déterminé et organisé selon les bonnes vieilles méthodes de l'ancien monde.

La priorité aux alliances est naturellement la ligne défendue par Edouard Philippe. Début juillet, lors d'un petit-déjeuner de la majorité, il avait fait part de sa désapprobation au responsable du parti LREM, Stanislas Guerini, regrettant les investitures de candidats LREM contre des élus LR notoirement Macron-compatibles, comme le maire de Bordeaux, Nicolas Florian, dauphin d'Alain Juppé, ou encore de celui de Vannes, David Robo. Dans l'entourage du Premier ministre, on assume le désaccord stratégique sans le dramatiser. «Rien de grave pour le moment. On n'est encore qu'au tout début du processus, il reste 800 villes à examiner. Dans la première phase, chacun montre ses biscoteaux, c'est normal», constate un conseiller de Matignon. Selon lui, la majorité doit dupliquer la logique de rassemblement qui a présidé à la constitution de la liste Renaissance aux européennes. Cela impose de privilégier les accords avec les sortants : «Il faut une vision stratégique. Penser aux élections suivantes, départementales, régionales, présidentielle, et aux alliances qu'il faudra bien conclure. Quand on laisse s'installer des inimitiés dans une campagne municipale, on est partis pour trente ans de bagarres de rues.» Vu de Matignon, le macronisme, c'est la «coalition des centres autour d'un homme» et le succès aux municipales ne se mesurera pas uniquement à l'aune du nombre de mairies passées sous bannière LREM.

Portés en 2014 par une vague bleue anti-Hollande, les maires LR sont d'autant plus demandeurs de ces alliances qu'ils ont vu leur électorat se reporter massivement en mai vers la liste Renaissance conduite par Nathalie Loiseau. Plus rares, les maires étiquetés socialistes sont aussi moins conciliants. Rescapés de la débâcle de 2014, ils se sentent sans doute plus solides. C'est ainsi qu'il n'a pas été question de rapprochement avec la maire PS de Rennes, Nathalie Apperé, qui compte pourtant quelques soutiens dans la majorité. Edouard Philippe ne renonce pas pour autant à rallier des maires de gauche. Avec Olivier Dussopt, ancien député socialiste devenu secrétaire d'Etat à Bercy, il a reçu en juillet à Matignon une dizaine d'édiles venus de la gauche et les échanges auraient été «constructifs», dixit l'entourage du Premier ministre.

Dans le bureau du chef de l'Etat

A la tête de LREM, on se défend d'encourager tout dégagisme municipal fantasmé par des militants exaltés par les scores de Renaissance aux européennes et qui pensent leur heure venue. «La vérité, c'est qu'on passe notre temps à les faire redescendre sur terre. On essaie de les convaincre qu'il vaut mieux devenir vice-président d'une agglomération dans le cadre d'une alliance que chef de l'opposition municipale face à un maire indéboulonnable», explique un cadre macroniste.

Ce travail de conviction est loin d'être gagné. A Toulouse, Nice, Orléans ou Angers, autant de villes où LREM envisage de soutenir les maires LR sortants, des marcheurs locaux vont jusqu'à menacer d'entrer en dissidence. Difficile pour eux de se ranger demain derrière, par exemple, un professionnel de la politique aux affaires depuis plus de trente ans comme Christian Estrosi. A l'Elysée, on assure qu'on laisse la CNI «souveraine» dans ses arbitrages, mais les questions les plus sensibles se règlent directement dans le bureau du chef de l'Etat. Qui le fait d'ailleurs sans déplaisir. «Il adore ça, sourit un conseiller. Il connaît parfaitement la carte électorale. On se demande d'ailleurs où il a trouvé le temps d'apprendre tout ça.» Il est vrai que cette science est habituellement l'apanage d'apparatchiks érudits qui ont siégé pendant des années dans les commissions d'investiture. En donnant le feu vert à l'investiture de Thomas Cazenave, ex-secrétaire général adjoint de François Hollande, contre le dauphin de Juppé à Bordeaux, Emmanuel Macron a donné des gages aux militants impatients d'aller à la bagarre. Pareil pour Vannes, où David Robo a pourtant le soutien des juppéistes et du Modem. A Marseille, l'affaire est plus délicate. Comme Nice, la ville a la particularité d'être sous la menace de l'extrême droite et hors de portée de la majorité LREM. Les stratèges parisiens de la macronie en ont conclu qu'une alliance avec la droite, et donc avec la dauphine du maire LR sortant, Jean-Claude Gaudin, Martine Vassal, serait la meilleure solution. Les marcheurs marseillais ne veulent pas en entendre parler, à l'image du député LREM Saïd Ahamada, qui a annoncé sa candidature début juin. Selon un familier de l'Elysée, Macron a reçu le message. «A Marseille, il ne veut pas solution toute faite, décrypte l'entourage présidentiel. Il nous demande d'être inventifs, de trouver autre chose.»

Numéro 2 de LREM, Pierre Person est «à la recherche d'un équilibre difficile» pour le scrutin municipal, pris entre le marteau des marcheurs et l'enclume de Matignon. Conforter des maires LR, «ce n'est pas notre préoccupation. Nous devons, nous, rendre possible le renouvellement des pratiques et des visages. Pas question de soutenir les maires qui se sont réveillés après les européennes». Ce désaccord assumé bute sur une exception : Person ne cache pas qu'il est embarrassé par ce qui se prépare dans les Hauts-de-Seine. Conseiller officieux du Premier ministre et député du département, Thierry Solère travaille au ralliement d'une demi-douzaine de maires de droite (Chaville, Clichy, Rueil-Malmaison, Saint-Cloud, Sèvres) dont certains ne se sont convertis que tardivement au progressisme macronien, soit après l'effondrement de la liste LR conduite par François-Xavier Bellamy. «La majorité n'a aucun intérêt à faire des coups de menton, plaide Solère. Sa nature, c'est au contraire de chercher des compromis. Les municipales 2020 seront très locales. Les maires auront envie d'afficher leur ville, pas leur parti.» En face, Pierre Person doit gérer la frustration des macronistes des Hauts-de-Seine qui rappellent qu'ils se sont précisément construits contre cette droite omnipotente de l'ancien fief de Pasqua et de Sarkozy. Ils n'imaginaient pas qu'on leur demanderait, deux ans plus tard, de se ranger derrière les maires d'un parti en pleine déconfiture.