Il existe des sujets moins vains que la recherche des qualités architecturales des aires d'autoroute. Certes, il a existé une époque (les années 30) où le champion du design élégant Raymond Loewy inventait pour Shell le concept de station-service. On aurait aimé faire le plein à l'une des pompes peintes par Hopper en 1940 dans Gas. Et l'on regrettera toujours les uniformes des pompistes, avec la casquette, le blouson qui s'arrête à la taille et le nœud pap. On regrette aussi leur présence, d'ailleurs.
Maintenant, c’est sers-toi toi-même, gare-toi en plein soleil, pose ton derrière sur les bancs en bois traité à l’autoclave, admire l’auvent en lamellé-collé et ne tente pas de comprendre pourquoi l’Autogrill prétend ressembler à un chalet d’alpage.
Parmi les lieux du transport, l'aire d'autoroute est une naufragée de l'esthétique. Pourtant, on peut faire beau dans ces lieux techniques. En témoigne le travail de l'architecte Bruno Mader sur «l'aire-jardin des causses du Lot» (A20) et celle de Corrèze (A89). La qualité de ces endroits, c'est leur insertion dans leur site. Mais c'est une rareté. Les sociétés d'autoroutes ne proposent le plus souvent que des environnements consternants. Ce qu'elles vendent, c'est la vue depuis l'aire, les jeux pour les enfants et, tendance récente, la possibilité d'y retrouver les Monoprix, Darty et KFC des centres-villes. Mais les sociétés savent que l'autoroute est une infrastructure hors-sol qui donne aux automobilistes l'impression de ne plus savoir où ils se trouvent. Aussi tentent-elles parfois de le leur rappeler avec une œuvre d'art assortie au contexte, comme cette tête géante de Charles Trenet sur l'aire de Narbonne-Vinassan (A61). Heureusement que, parfois, quelqu'un délire. La forêt de champignons géants de l'aire de Jugy (A6) est ainsi décrite par le blog France-trotting comme «une dimension parallèle peuplée de maisons de Schtroumpfs, de toboggans girolles, de cabanes morilles et même d'une échelle de cordes à escalader encadrée par ce qui ressemble furieusement à des champignons hallucinogènes… Le tout accompagné par quelques plaques présentant les principaux champignons comestibles et vénéneux, parce qu'il faut bien s'instruire quand même».