Fabienne Garel, productrice de lait et présidente de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) des Côtes-d’Armor, explique la colère des agriculteurs par le double discours de la majorité qui dit vouloir aider l’agriculture française mais vote des traités facilitant une concurrence déloyale venue d’outre-Atlantique.
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Que pensez-vous des dégradations commises par des agriculteurs sur des permanences de députés LREM en Haute-Garonne ?
Je comprends les manifestations de mes collègues agriculteurs dans la mesure où le vote du Ceta représentait de très grands enjeux pour l’agriculture française, pour son élevage, mais aussi pour l’alimentation et le consommateur. Or, la politique du «en même temps» de LREM conduit à des aberrations. D’un côté, nous avons beaucoup travaillé pour la loi Egalim, issue des Etats généraux de l’alimentation, en prenant de grands engagements pour une montée en gamme de nos produits, faire évoluer nos pratiques par rapport aux animaux d’élevage, à l’environnement. Et de l’autre, les députés LREM votent pour le Ceta qui va faciliter l’importation de produits qui ne respectent aucune de nos normes. C’est complètement contradictoire.
De quelles normes est-il question ?
Par rapport aux cultures, il y a précisément 46 produits phytosanitaires qui sont autorisés au Canada et interdits en France et en Europe, comme l’atrazine par exemple. Les antibiotiques comme facteurs de croissance pour les bovins sont également autorisés dans les élevages canadiens alors qu’ils sont interdits chez nous, de même que l’utilisation de farines animales dans leur alimentation. La taille des élevages outre-Atlantique est aussi très différente, avec de très grandes exploitations, alors qu’en France on reste attachés à des exploitations familiales qui subiront une concurrence totalement déloyale.
Le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, a voulu rassurer les agriculteurs en affirmant que les normes sanitaires européennes seraient respectées et que les produits importés seraient soumis à un «strict contrôle documentaire et d’identité aux portes de l’UE». Qu’en pensez-vous ?
Les accords stipulent en effet que les produits importés devront respecter nos normes en matière de farines animales, d’antibiotiques, d’OGM ou de pesticides. Sauf qu’on n’a aucune vision sur les contrôles qui seront vraiment effectués et que, alors que les moyens de l’Etat sont réduits un peu partout, on peut se demander comment ils seront exercés. Si ce sont simplement des papiers remplis par les Canadiens, on peut douter de leur efficacité. Et avant qu’on connaisse les résultats des tests en laboratoire dont il est aussi question, les produits auront déjà été consommés. Comment pourrons-nous contrôler l’alimentation des bovins canadiens ou leur consommation d’antibiotiques alors que nous-mêmes sommes engagés dans des programmes de diminution de leur usage quand nos animaux sont malades ? La question se pose.
L’accord UE-Mercosur, qui faciliterait les échanges de produits agricoles avec l’Amérique du Sud, est-il un motif d’inquiétude particulier ou de même nature qu’avec le Ceta ?
L’inquiétude est encore plus forte avec le Mercosur, notamment par rapport aux questions de traçabilité qui n’ont rien à voir avec ce qui est pratiqué en Europe, avec des cahiers des charges très différents. En France, tout est marqué, dans nos élevages, vis-à-vis de nos cultures, de nos animaux. En Argentine ou au Brésil, dans des exploitations de 10 000 à 20 000 têtes de bovins à l’engraissement, les conditions d’élevage n’ont rien à voir. Ne serait-ce que par rapport aux normes sociales. Ici les coûts de la main-d’œuvre sont relativement élevés, en raison de la protection sociale des salariés et c’est une bonne chose, il faut garder cela. Mais demain, avec le Ceta ou l’accord UE- Mercosur, nos exploitations seront encore plus fragiles car moins compétitives.
Pour Richard Ferrand, qui prévoit sur un an «une augmentation historique des exportations du secteur agroalimentaire vers le Canada», le Ceta serait au contraire une «chance pour l’agriculture» : ne pensez-vous pas que ces accords ouvrent aussi des opportunités à l’export ?
Peut-être pour certaines filières, comme le lait, ou certains produits élaborés. Encore faudrait-il savoir lesquels. Mais le plus grave est que l’on va importer des produits qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes et que l’on va ainsi brader la qualité de notre alimentation. Comment pourra-t-on savoir quand un produit élaboré contient du bœuf canadien ou du bœuf français ? L’agriculture française est toujours en tension, avec des difficultés dans les filières bovines ou le lait, le Ceta ne fera que la fragiliser davantage.