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Libération
Chronique «Vous êtes ici»

Des architectes abandonnés sur les aires d'autoroute

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Chaque semaine, une histoire de villes, de villages et d'enjeux urbains. Aujourd'hui, et parce que c'est les vacances, le vaste fiasco architectural des endroits où l'on nous conseille de nous arrêter toutes les deux heures.
Dans le restaurant Autogrill de l'aire de Nemours, au-dessus de l'autoroute A6, le 9 août 2010. . (Vincent NGUYEN/Photo Vincent Nguyen )
publié le 2 août 2019 à 10h40

Pour cette dernière chronique de la saison, on aurait peut-être dû choisir un sujet moins vain que la recherche des qualités architecturales des aires d'autoroute. Certes, il a existé une époque (les années 30) où le champion du design élégant Raymond Loewy inventait le concept des stations-service pour Shell. On aurait également aimé faire le plein à l'une des pompes peintes par Edward Hopper en 1940 dans Gas. Pas très gai mais très beau. Et l'on regrettera toujours les uniformes des pompistes, avec la casquette, le blouson qui s'arrête à la taille et le nœud pap aux couleurs de la marque. On regrette aussi leur présence d'ailleurs.

Maintenant, c’est sers-toi toi-même, gare-toi en plein soleil, pose ton derrière sur les bancs en bois traité à l’autoclave, admire l’auvent en lamellé-collé, évite de te casser la binette sur les bordurettes en ciment et ne tente pas de comprendre pourquoi l’Autogrill prétend ressembler à un chalet d’alpage.

Environnement consternant

Parmi les différents lieux du transport, l'aire d'autoroute est une naufragée de l'esthétique. Les gares TGV des vingt dernières années ont été l'œuvre d'architectes, les aéroports encore plus, les grands ponts figurent sur les cartes postales et même certaines barrières de péage, comme celle de Lançon-de-Provence sur l'A7 ou celle des Eprunes sur l'A5, ont été suffisamment soignées pour mériter de trouver leur place dans des livres d'archi. Mais pour l'endroit de «la pause toutes les deux heures», tintin.

Pourtant, on peut faire beau dans ces lieux techniques. En témoigne le travail de l'architecte Bruno Mader, sur «l'aire-jardin des Causses du Lot» (A20) et celle de Corrèze (A89). La qualité de ces endroits, c'est leur insertion dans leur site. La base de l'architecture en somme.

Mais c’est une rareté. Les sociétés d’autoroutes doivent penser que leurs clients n’ont pas de goût puisqu’elles ne leur proposent le plus souvent que des environnements consternants. Ce qu’elles vendent, c’est la vue depuis l’aire, les jeux pour les enfants et, tendance récente, la possibilité d’y retrouver les Monoprix, Darty et KFC de vos centres-villes.

«Champignons hallucinogènes»

Néanmoins, les sociétés savent bien que l'autoroute est une infrastructure hors-sol qui donne aux automobilistes l'impression de ne plus savoir où ils se trouvent. Aussi tentent-elles parfois de le leur rappeler avec une œuvre d'art assortie au contexte : une tête géante de Charles Trenet posée sur le sol de l'aire de Narbonne-Vinassan (A61), les vestiges de l'ancien théâtre de Nîmes incendié en 1952 sur celle de Caissargues (A54) ou encore un immense pèlerin de bronze sur l'aire d'Hastingues (A64), façon d'évoquer le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle qui passe par là.

Heureusement que parfois, au sein des sociétés d'autoroute, quelqu'un délire. La forêt de champignons géants de l'aire de Jugy (A6) près de Chalon-sur-Saône est ainsi décrite par le blog France-trotting comme «une dimension parallèle peuplée de maisons de Schtroumpfs, de toboggans girolles, de cabanes morilles et même d'une échelle de cordes à escalader encadrée par ce qui ressemble furieusement à des champignons hallucinogènes… Le tout accompagné par quelques plaques présentant les principaux champignons comestibles et vénéneux, parce qu'il faut bien s'instruire quand même».