Saisir le poids de l’attente, entre douleur et grâce. Une plongée dans l’intimité des proches de détenus que la photographe Marianne Barthélémy cherche à immortaliser depuis deux ans lors de ces moments si particuliers et difficilement accessibles qui précèdent et suivent les visites en prison.
C'est à Rennes, dans un lieu apparemment éloigné de l'univers carcéral - mais sans lequel il n'existerait pas - que la Franco-Américaine a rencontré des femmes, des hommes, des enfants qui, le temps d'une nuit ou d'une semaine, louent une chambre à la petite maison Arc-en-ciel. Et depuis 1993, ce lieu d'hébergement associatif en a vu défiler de ces voyageurs atypiques qui la nuit se retrouvent entre les murs de ses chambres couleur pastel. En s'immisçant dans ces instants de vie dissimulés, Marianne Barthélémy veut rendre compte de «l'état psychologique et émotionnel» dans lequel se trouvent les proches de détenus, en les capturant dans leur chambre éphémère.
«Beaucoup évoquent comme un sentiment de suspension en parlant d'aimer quelqu'un en prison»,dit la photographe, qui s'est rendue une quinzaine de fois, plusieurs jours durant, à la maison Arc-en-ciel. Une vie entre parenthèses. A l'image de Manon (1) et son appartement «vide, en travaux», dans l'attente du retour de son conjoint qu'elle va voir cinq à huit fois par mois. Ou de Younes (1), dont les enfants ont été placés en famille d'accueil après l'incarcération de sa femme. «La juge m'a dit : "Voilà, vous n'êtes pas près de récupérer vos enfants, parce que vous n'êtes pas deux."»
«Comme à la maison»
Ce sentiment, Marianne Barthélémy le retrouve aussi dans la singularité du lieu qui les accueille.«D'un côté c'est un peu comme à la maison, comme chez des grands-parents. Mais en même temps c'est stérile, ce n'est pas chez eux, ils n'ont pas leurs affaires, pas leur vie ici… Ce lieu représente assez bien cet espace psychologique qu'est l'attente.»
Tenue par l'association Brin de soleil et proche des établissements pénitentiaires de Rennes et Rennes-Vezin, la maison offre un refuge au coût avantageux (12 euros la nuit et 1 euro par personne supplémentaire) pour ceux dont les finances sont souvent plombées, entre frais de justice, coût des déplacements ou dépenses en communications téléphoniques à destination de la prison. Mais surtout, comme le rappelle Marie, ambulancière à la retraite et bénévole depuis dix ans : «Ici, il n'y a pas de religion, pas de politique, pas de jugement. Nous sommes d'humain à humain.» Marie Crétenot, juriste à l'Observatoire international des prisons, en profite pour rappeler à quel point «l'opprobre qui s'abat parfois dans la sphère sociale» peut avoir un effet destructeur sur les proches de détenus, et souligner combien «ce genre d'initiative est essentiel», bien qu'encore «très insuffisamment répandue».
«Belle solidarité»
Parmi ces victimes collatérales passées sous l'objectif de Marianne Barthélémy, on trouve des visiteurs étrangers au département, parfois de la région, mais aussi souvent de la métropole, voire du pays. «Beaucoup de proches font le trajet des DOM-TOM jusqu'à Rennes, c'est incroyable !» raconte la jeune photographe, qui se souvient de l'histoire de Christelle, rencontrée avec ses filles peu avant leur premier parloir. «Depuis, elle a quitté la Martinique avec ses enfants pour venir s'installer à Rennes, se rapprocher de son mari.»Des femmes, Marianne Barthélémy en a rencontré beaucoup sur la vingtaine de proches qui lui ont dévoilé cette facette de leur vie. Des compagnes, des mères, des sœurs. «Dans les maisons d'accueil, il peut d'ailleurs y avoir une très belle solidarité entre femmes de détenus : pour s'occuper des enfants, donner du linge au parloir, s'organiser pour les trajets», a constaté la photographe. Elle espère pouvoir à terme exposer ses clichés en les accompagnant de témoignages audio, «douloureusement plus lourds et plus riches en détails».
Et alors que le nombre de détenus augmente de façon constante dans les prisons françaises, la photographe espère bien interroger les consciences. «En France, on ne parle aujourd'hui des prisons que pour aborder le problème de la surpopulation. Nous n'avons plus de véritable débat qui porte sur la viabilité du modèle, du moins pas avec la même force que dans les années 80, où c'était bien plus courant.»
(1) Les prénoms ont été changés.