12h05, place de Clichy. Une centaine de gilets jaunes entament une minute de silence un peu désorganisée devant le monument de la place, couvert de banderoles aux messages univoques («Steve, tué par la police», «Castaner démission»), et de quelques roses blanches. Certains sont là avec un brassard noir de fortune, à la mémoire du jeune homme mort noyé dans la Loire suite après l'intervention violente des forces de l'ordre la nuit de la Fête de la musique à Nantes. A peine la minute de silence terminée, la foule entonne la Marseillaise.
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Passe une voiture de police, qui se fait chasser à coups de poings sur la carrosserie. «Assassins !», lancent des manifestants. Encore une fois, c'est autour de la question des violences policières que les revendications tentent de se fédérer. Steve Caniço, pas un gilet jaune, mais une victime collatérale du même «système», dans l'esprit de beaucoup des manifestants du jour.
«Indifférence des dirigeants»
Marie-Anne, ancienne gardienne dans une déchêtérie récemment licenciée a découpé une photo en noir et blanc de Steve, et l'a collé à côté de celle de Zineb Redouane, l'octogénaire morte en décembre à Marseille après avoir été touchée par un tir de grenade lacrymogène. «Justice pour Steve et Zineb», réclame cette gilet jaune des premiers instants, qui se dit profondément «choquée par les violences policières rencontrées en manifestation». Son amie Mireille qui l'accompagne affirme avoir reçu le premier décembre tir de flashball dans le ventre.
Aujourd'hui, ces deux femmes sont là pour le jeune homme disparu à Nantes, et pour marquer leur opposition à une police qui ne leur «inspire plus la défense des citoyens». «Maintenant, elle nous inspire de la haine», déplore Stéphane, agent technique dans une mairie du Loiret.
Isabelle, surveillante dans un collège près de Nanterre a elle participé à plusieurs manifestations de gilets jaunes, mais aujourd'hui, «je suis là pour Steve, rien que pour lui» assure cette «maman» à qui ce drame donne la chair de poule. Elle dit avoir fait le déplacement pour contraster avec «l'indifférence des dirigeants» : «Macron dans tout ça, j'ai l'impression qu'il n'a pas d'âme, pas d'humanité. Et Philippe qui ne se souvenait même plus du nom de famille de Steve…» Elle se dit un peu surprise de constater qu'il n'y ait pas plus de non-gilets jaunes. «Je m'attendais au moins à ce que les gens enlèvent leur gilet comme moi», regrette-t-elle. Dans le cortège, on surprend quelques conversations enflammées sur la dette publique, le RIC ou le coût de la vie, comme un samedi de mobilisation habituel.
«Un geste de recueillement»
On est loin de l'ambiance qui règne à 14 heures place de la République, lieu de rendez-vous d'un appel «Roses blanches pour Steve» lancé sur les réseaux sociaux par le psychologue clinicien et écrivain Samuel Dock. «Venir déposer une rose, c'est un autre symbole. C'est un geste de recueillement». Le rassemblement se veut en dehors de toute étiquette. «Les gilets jaunes ne devraient pas avoir le monopole de la critique des violences policières en ce jour, estime le romancier. C'est quelque chose qui devrait tous nous concerner en tant que citoyen». Venu déposer des bouquets de roses blanches autour du lion emblématique de la place, couvert de messages «Justice pour Steve», l'écrivain crie également à «l'urgence de remettre en cause le fonctionnement de l'IGPN», la police des polices.
Quelques curieux s'arrêtent prendre des photos de ces roses, scotchées ou disposées dans des bouteilles en plastiques, que le vent renverse parfois, mais très rares sont ceux à avoir répondu à son appel. Jean-Baptiste, 39 ans, tout en noir, est malgré tout venu du Val-d'Oise déposer une fleur en hommage à Steve, «quelqu'un qu'on a appris à connaître». Venu, car il faut parler de cette mort, qui selon lui résulte d'une «politique autoritaire reposant sur la répression policière». «Il était justice sorti faire la fête, mais aujourd'hui il n'y a plus de barrière. Et à Nantes il faut savoir qu'il y a une tradition de confrontation entre les jeunes et la police. Ce qui s'est produit, c'est un peu une expédition punitive», accuse le trentenaire.
Le calme de la place se dissipe progressivement dans l'après-midi avec l'arrivée du cortège des gilets jaunes, en plus grand nombre qu'à midi. Tassés calmement autour du monument, les manifestants, toujours sur place dans l'après-midi, comptaient bien rester, malgré la présence de nombreux CRS les encerclant.