C'est le paradoxe des lacs de barrage : ils sont beaux et dramatiques à la fois. En voyant les nombreuses photos de l'ouvrage de Gérard Guérit sur «la France des villages engloutis», la première réaction est l'éblouissement devant la splendeur des sites. Cela ne dure pas. Le titre le dit bien : sous la surface tranquille des lacs, dorment des horreurs.
Tignes, 1950. La commune se bat contre un projet de barrage, l'utilité publique est annulée, le gouvernement prend un décret pour redémarrer. Face aux opposants, EDF utilise «la politique classique de la division et de la surenchère». Les «purs et durs», dont le maire, vont «jusqu'à incendier un transformateur, détruire des machines de forage, dérober en mairie des dossiers de procédure d'expropriation…» Une ZAD avant l'heure, avec les mêmes descentes de gendarmerie, les mêmes condamnations des agitateurs. Mais pas le même rapport de force. «Le summum de l'horreur est atteint lorsqu'il faut déplacer le cimetière, exhumer les défunts, dynamiter l'église…», écrit Guérit.
Tignes a été un combat mais, dans la grosse cinquantaine d’endroits ennoyés décrits par l’ouvrage, la résignation et l’accablement dominèrent. Parfois, le combat contre le barrage a été gagné mais, entre-temps, les villages menacés ont été abandonnés. Certains ne s’en sont jamais remis. Il arrive qu’EDF assèche ses lacs pour entretenir ses installations. Les ruines apparaissent alors. Le livre montre des ponts de pierre intacts et des touristes qui viennent les voir. Pas le moins surprenant.