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La dépollution du plomb, l’autre chantier de Notre-Dame

Si les prélèvements dans les bâtiments alentour sont plutôt rassurants, la priorité de la mairie de Paris est au nettoyage. Syndicats et associations accusent les autorités d’avoir tardé à réagir.
Des centaines de tonnes de plomb ont fondu dans l’incendie du 15 avril. (Photo Boby)
par Louise Guibert
publié le 6 août 2019 à 20h26

Des analyses pour rassurer les riverains. La mairie de Paris a publié mardi les rapports complets de l’Agence régionale de santé (ARS) relatifs à la pollution au plomb depuis l’incendie de Notre-Dame, ainsi que les rapports des prélèvements et analyses du taux de plomb mesurés dans les écoles et les crèches du périmètre.

Pendant l'incendie qui a détruit la toiture et la charpente de la cathédrale et endommagé la voûte le 15 avril, plusieurs centaines de tonnes de plomb contenues dans la flèche et la toiture ont fondu et se sont volatilisées sous forme de particules, laissant craindre des risques pour la santé des riverains. Depuis, d'importants taux de concentration de plomb, auxquels les enfants sont particulièrement exposés, ont été relevés aux alentours de l'édifice, et un groupe scolaire situé rue Saint-Benoît, dans le VIe arrondissement de Paris, a été fermé pour des travaux de nettoyage.

Analyses de sang

Depuis avril, de nombreuses mesures et opérations de nettoyage ont été réalisées dans les écoles, crèches et logements d'assistantes maternelles du secteur de Notre-Dame, conformément aux recommandations de l'ARS. Dans le périmètre de «500 mètres [autour de] Notre-Dame», les prélèvements dans les crèches et écoles contrôlées sont conformes. Six écoles élémentaires, trois crèches municipales et une associative sont concernées par les mesures de taux de plomb. Pour lever tout doute quant à une possible contamination, la ville invite les familles dont les enfants fréquentent les établissements concernés à faire des analyses pour mesurer le taux de plomb dans leur sang. Par ailleurs, lors de visites médicales préventives passées par les agents municipaux particulièrement exposés, des bilans sanguins ont été prescrits. A ce jour, 145 ont été effectués et aucun résultat anormal n'a été noté.

Des mesures aux domiciles des assistantes maternelles de la mairie ont également été réalisées. Elles relèvent des niveaux de pollution inférieurs à 70 µg/m² (microgrammes par mètre carré). Ces résultats sont calculés sur la base d’une moyenne d’échantillons prélevés dans chaque appartement. Si pour un prélèvement isolé un niveau supérieur à 70 µg/m² est constaté, le lieu concerné fait l’objet d’un traitement ad hoc et d’une nouvelle mesure avant réouverture.

Après les prélèvements, l’ARS a élargi le 18 juillet le périmètre des analyses. Surprise : bien qu’on soit plus loin de la cathédrale, des mesures font apparaître dans des espaces publics des niveaux de pollution au plomb supérieurs à la référence de 5 000 µg/m², le seuil maximum admissible fixé par l’ARS.

Le parvis de Notre-Dame fait l'objet d'un traitement spécifique, au regard des fortes concentrations en plomb qui y ont été analysées. Dans son avis sanitaire relatif à la pollution au plomb du 18 juillet, l'ARS publie les prélèvements réalisés dans l'air sur le parvis et à l'angle des rues d'Arcole et du Cloître. Si ces derniers montrent des valeurs toujours inférieures au seuil réglementaire de 0,5 g/m3 et confirment le maintien d'une bonne qualité de l'air, le rapport relève des teneurs en plomb très élevées dans les sols du parvis, notamment dans les bandes sableuses, et les jardins publics alentour.

Décaper les sols

Pour Anne Souyris, adjointe EE-LV à la mairie de Paris chargée de la santé, la priorité est maintenant à la dépollution. «Des personnes vivent ici, d'autres y travaillent. Il faut aussi penser au chantier de reconstruction et aux ouvriers déployés. Cette dépollution se fera très rapidement, et commencera dès mercredi», a-t-elle affirmé à Libération. Pour ce faire, la ville entend décaper les sols : «Nous allons appliquer un gel sur le parvis et les rues adjacentes, explique Anne Souyris. Nous attendons ensuite qu'il sèche, pour l'enlever au bout de trois jours. Le gel absorbe le plomb. Selon les tests effectués, il n'y a aucune volatilisation du plomb possible pendant l'opération.»

Concernant le groupe scolaire de la rue Saint-Benoît, dont la cour révèle des taux de pollution supérieurs au seuil admis par l'ARS, l'adjointe en charge de la santé estime qu'«il y a urgence ! C'est une mesure de salubrité publique. Tout doit être dépollué pour la rentrée scolaire». En raison de l'extension du territoire de mesure stipulé par l'ARS, la Ville de Paris doit continuer de prélever le taux de plomb dans l'école : «D'ici la fin du mois d'août, tous les endroits polluants seront mesurés une nouvelle fois. Si une école est encore polluée, il est évident qu'elle ne sera pas rouverte», conclut Anne Souyris.

Réunis lundi matin devant le parvis fermé de Notre-Dame, syndicalistes CGT et membres d'associations se sont montrés particulièrement préoccupés de la santé des personnes qui sont intervenues à l'intérieur de la cathédrale après l'incendie ou qui travaillent à proximité. Parmi elles, «pompiers, agents de nettoyage, policiers, personnels de l'Hôtel-Dieu mais aussi bouquinistes, ou salariés des bars et restaurants» du quartier, a énuméré Benoît Martin, de l'Union départementale CGT. L'association Robin des bois a porté plainte contre X, accusant les autorités d'avoir tardé à réagir et manqué de transparence. Dans son viseur : la mairie de Paris, le ministère de la Culture, l'ARS, la préfecture de police et la préfecture d'Ile-de-France.

Troubles digestifs

L'association juge aussi tardive la fermeture, le 25 juillet, des deux écoles du VIe arrondissement, transformées en centres de loisirs pendant l'été. Des taux de pollution au plomb supérieurs à 5 000 µg/m² avaient été relevés dans les cours extérieures. «Elles auraient dû être fermées en période scolaire», estime le président de Robin des bois, Jacky Bonnemains, cité par l'AFP. «Plusieurs dizaines de milliers de personnes», habitants des arrondissements proches de la cathédrale, seraient concernées par cette pollution au plomb selon l'association, sans compter les touristes, les agents de propreté de la ville, les forces de l'ordre, «restées plusieurs semaines sur le parvis», et des intervenants «à l'intérieur de la cathédrale», pointe Jacky Bonnemains. Une exposition à des niveaux trop élevés de plomb, par inhalation ou par ingestion, peut entraîner des troubles digestifs, une perturbation du fonctionnement des reins, des lésions du système nerveux ou encore des anomalies au niveau de la reproduction.