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Terrorisme

«Accord secret» : de nouvelles révélations sur l’attentat de la rue des Rosiers

L’ancien patron de l’antiterrorisme, Yves Bonnet, a reconnu face au juge avoir passé un accord secret avec le groupe palestinien d’Abou Nidal afin d’éviter d’autres attentats sur le sol français dans les années 80.
En 1982, l'attentat de la rue des Rosiers, à Paris, a fait 6 morts et 22 blessés. (MICHEL CLEMENT/Photo Michel Clément. AFP)
publié le 9 août 2019 à 16h05

La confession, trente-sept ans après l'attentat de la rue des Rosiers, révèle tout un pan de l'histoire du renseignement français. Le Parisien a révélé jeudi le témoignage de l'ancien patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST), Yves Bonnet, aujourd'hui âgé de 83 ans. Entendu au mois de janvier par le juge d'instruction en charge de l'enquête, l'ancien responsable du renseignement intérieur a reconnu avoir passé un pacte secret avec le groupe terroriste palestinien d'Abou Nidal (Fatah – conseil révolutionnaire), une faction dissidente de l'Organisation de libération de la Palestine dont au moins trois membres sont soupçonnés d'être à l'origine de l'attaque.

Le 9 août 1982, une grenade explose la vitrine du restaurant chez Jo Goldenberg, au 9 rue des Rosiers, dans le quartier du Marais à Paris. Un commando masqué et armé de fusils-mitrailleurs, débarque dans le restaurant et ouvre le feu sur les clients. L’attentat fait six morts, 22 blessés. Les premiers portraits-robots sont émis. La piste de nationalistes irlandais fait un temps son chemin, quelques semaines après l’attentat. Le capitaine Paul Barril prétend avoir arrêté les suspects. La piste s’avérera être un mensonge monté de toutes pièces par le gendarme qui aurait lui-même déposé les explosifs pour faire arrêter les nationalistes.

«Je ne veux plus d’attentat sur le sol français»

En 2011, par l’entremise du juge antiterroriste Marc Trévidic mais surtout par des policiers acharnés de la DCRI (la nouvelle DST), les auteurs présumés de la tuerie sont identifiés. Il s’agit de trois hommes, réfugiés à l’étranger et membres de l’organisation Abou Nidal. Le premier, Walid Abdulrahman, alias Abou Zayed, 56 ans, est domicilié à Skien, en Norvège ; le second, Mahmoud Khader Abed, alias Hicham Harb, 60 ans, à Ramallah, en Cisjordanie ; et enfin, Mohamed Souhair al-Abassi, alias Amjad Atta, 64 ans, qui se présente comme le logisticien du groupe, se trouverait en Jordanie. C’est la confrontation entre l’audition de plusieurs anciens membres d’Abou Nidal et les témoignages de l’époque qui aurait permis aux agents de la Direction centrale du renseignement intérieur de remonter leur trace et de déposer, par la suite, trois mandats d’arrêt internationaux à leur encontre.

Le témoignage d'Yves Bonnet, plus de trente ans après les faits, éclaire une partie encore méconnue de l'affaire, quoique déjà évoquée dans ses carnets (saisis lors d'une perquisition dans le cadre de l'affaire Clearstream) par feu le général Rondot. A en croire le procès-verbal dressé en janvier dernier par le juge d'instruction, Régis Pierre, une rencontre clandestine aurait été organisée quelques mois après l'attentat de la rue des Rosiers entre des agents du renseignement français et l'organisation Abou Nidal, afin de garantir que la France serait épargnée à l'avenir par les attentats. «Je ne veux plus d'attentat sur le sol français, aurait alors déclaré le chef de la DST. En contrepartie, je vous laisse venir en France, je vous garantis qu'il ne vous arrivera rien.» Un pacte de «non-agression», en somme, résume l'ancien taulier des services secrets.

Secret-défense

«Et ça a marché, raconte Yves Bonnet contacté directement par le Parisien. Il n'y a plus eu d'attentats à partir de fin 83, en 84 et jusqu'à fin 1985.» Le président de la République de l'époque, François Mitterrand, a-t-il pu ignorer qu'une telle rencontre avait été organisée ? A-t-il donné son aval à cet «accord» passé entre les services de renseignement et un groupe armé ? Dans le Parisien, Bonnet assure qu'il disait tout à Gilles Ménage, directeur de cabinet de Mitterrand…

Au lendemain de ces révélations, l'avocat des parties civiles, Avi Bitton, confie à Libération son intention de déposer très prochainement une «requête auprès du juge d'instruction pour demander la levée du secret-défense dans cette affaire». Auditionnés également en février par le juge Régis Pierre, deux anciens membres de la DST, dont Louis Caprioli, s'étaient, eux, réfugiés derrière le «secret-défense» pour ne pas avoir à revenir sur le fameux pacte secret.

Quant aux suspects, toujours réfugiés à l'étranger, ils restent à ce jour protégés par leur pays d'accueil, qui refusent de les extrader. «Maintenant que les mandats d'arrêt ont été émis, encore faut-il que l'Etat français fasse tout son possible pour mettre en œuvre les extraditions, poursuit l'avocat Avi Bitton. Or, avec ce que l'on apprend aujourd'hui, les victimes ont toutes les raisons d'avoir des doutes.»