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Hôtesses : «J’ai eu l’impression d’être déshumanisée, transformée en poupée du client»

Témoignages - Au boulotdossier
Quatre jeunes femmes, dont la créatrice de #PasTaPotiche, racontent leurs mauvaises expériences en tant qu’hôtesses, allant des remarques déplacées aux attouchements.
Au Mondial de l’auto, à Paris, en 2016. (Photo Christophe Morin. IP3)
publié le 15 août 2019 à 20h26

Pas encore un déferlement, mais une petite vague. La polémique autour des hôtesses sur le Tour de France a permis à de nombreuses femmes, actuellement hôtesses d’accueil ou ayant exercé cette profession auparavant, de raconter leur quotidien. Derrière le sourire de façade se dessinent les humiliations (souvent), le sexisme (quasi systématique), le harcèlement (parfois), jusqu’aux agressions… Témoignages.

Alice, 22 ans créatrice de #PasTaPotiche, hôtesse depuis six ans

«J'ai effectué pas mal de missions en entreprise et en événementiel. Là, comme on intervient dans un contexte festif, c'est à croire que les hommes se croient tout permis. Souvent, ce sont des hommes "puissants" (médecins, élus, avocats), pour qui nous ne sommes que "des petites hôtesses". Le sexisme se double de mépris social. Et puis il y a parfois un contexte qui semble conduire à cela : quand votre fonction est uniquement "décorative", que vous ne faites strictement rien d'autre que sourire en "position de danseuse", on fait de vous une femme-objet. Dès lors, comment être considérée ? D'autant que les critères des agences perpétuent les stéréotypes sur les femmes, avec parfois des demandes douteuses, du style "hôtesses de type nordique". Qu'importe la météo, on peut se retrouver debout dehors pendant des heures, en talons, avec des fringues pas plus épaisses que du papier à cigarettes. Il m'est même arrivé qu'on me fournisse des escarpins deux pointures trop petites dans lesquels j'étais censée rester des heures debout au-dessus d'escaliers très raides. Ça n'est pas humain ! J'ai fait un malaise. Je suis allée pleurer aux toilettes et je suis revenue à mon poste. C'est simple : si on se plaint, on sait qu'il y a la queue pour nous remplacer.

«Le pire pour moi, ça a été une soirée organisée par un grand patron. Il m’a touché le sein. J’étais tétanisée, je me suis sentie prise au piège comme une proie. Plus tard, il m’a saisie par les poignets et m’a obligée à danser. Après cette mission, j’en ai parlé à mon agence qui m’a dit qu’il s’en était déjà pris à d’autres hôtesses. On m’avait donc envoyée au casse-pipe en connaissance de cause. C’est de la mise en danger. C’est dur d’en parler entre nous parce qu’on est assez isolées. Porter plainte ? On parle de gens puissants, c’était avant#MeToo, j’avais peur de ne pas faire le poids, et surtout de perdre mon travail. Je réalise aujourd’hui que c’était une agression sexuelle et qu’il n’avait pas le droit.»

Magalie, 35 ans ostéopathe, hôtesse de 2002 à 2008

«Pendant mes études j’avais besoin d’un job flexible. J’ai fait pas mal de missions dans l’événementiel, dont une particulièrement problématique : j’étais chargée de proposer des dégustations pour une marque de vodka dans un supermarché, dès 10 heures du matin… A l’arrivée, on m’a donné une chapka et une mini-robe en lycra, qui ne couvrait clairement pas mes fesses et était décolletée. J’ai décidé de garder mon pantalon en dessous. Je crois que c’était payé environ 60 euros la journée et c’était une mission ponctuelle, donc je pouvais me permettre de prendre le risque d’être virée. Toute la journée, ça a été un défilé incessant de chefs de rayon qui multipliaient les blagues graveleuses, les invitations à les rejoindre en salle de pause ou à échanger nos numéros de téléphone… Et vous, vous pouvez juste sourire et encaisser. Je me sentais tellement méprisée. Tout le monde vous regarde comme si vous n’étiez rien…

«J’étais aussi régulièrement envoyée chez un traiteur parisien pour des soirées de lancement de produits de luxe. Là, j’étais confrontée à une autre forme de sexisme, que je qualifierais de mondain. Déjà, dès le recrutement, ça annonçait la couleur : tous les tailleurs étaient en taille 36. On nous demandait de porter des chemises blanches, qui n’étaient pas très opaques, et de la lingerie blanche dessous. Surtout pas couleur chair. Résultat : les convives masculins nous parlaient régulièrement de nos sous-vêtements. On devait être maquillées, sans tomber dans la vulgarité. En fait, il fallait être standardisées pour plaire au plus grand nombre. On était un produit comme un autre. Clairement, on était là pour se faire draguer par des vieux libidineux qui s’abritaient derrière le vernis de la haute société pour approcher des gamines qui auraient pu être leurs filles et leur balancer toute leur concupiscence à la face. C’était glauque. On se faisait frôler, toucher… Une fois, je me suis même pris une main aux fesses. Comme si le fait d’être tout en bas de l’échelle autorisait tout et n’importe quoi. Je crois tout de même que les choses évoluent et que des prises de conscience sont en cours sur la masculinité toxique, le consentement ou la culture du viol.»

Mélanie, 33 ans, journaliste, hôtesse en 2006

«La formation dispensée par l'agence m'avait paru lunaire, voire tragi-comique. Dès le départ, c'était sexiste et hyper rétrograde : on nous avait présenté un diapo photo de femmes dont on devait noter le maquillage, histoire de montrer ce qu'était "une présentation correcte en entreprise". Ensuite, j'ai été affectée à mi-temps dans une boîte d'immobilier, dans les Hauts-de-Seine. On me demandait de porter la tenue mise à disposition : un tailleur jupe au genou et veste en synthétique pourri qui vous fait transpirer. On ne vous en donne qu'une, donc pas terrible pour l'hygiène, et en plus, le nettoyage est à nos frais… Les escarpins à talons étaient obligatoires, et on devait les fournir nous-mêmes. Sur place, j'étais une sorte de bonne à tout faire. C'était bourré de mâles alpha hyper machos et méprisants, qui me faisaient me sentir comme une sorte de bout de viande. Dès le début, ils ont activé une sorte de mode drague automatique et hyper décomplexé. Comme si charmer était leur façon d'être polis au quotidien. Je précise qu'ils étaient tous mariés. Ils se comportaient comme ça avec toutes les hôtesses : compliments très appuyés tous les jours, clins d'œil. Une fois, je faisais du shopping en ligne pour tuer le temps, et l'un d'entre eux m'avait lancé : "Si vous avez besoin d'un avis pour votre bikini, appelez-moi." On nous avait prévenues pendant notre formation que ce métier "fait fantasmer", et que ce genre de comportement en faisait partie. Pour autant, on nous demandait de rester polies, de ne pas froisser ces messieurs. Comme si, parce qu'on est tout en bas de la hiérarchie, on n'était pas obligé de nous respecter. J'ai fini par abandonner mon poste. C'était trop aliénant.»

Eva, 19 ans, étudiante, hôtesse de 2017 à 2019

«J’ai arrêté ce job il y a quelques mois quand j’ai pris conscience du fait que la manière dont on nous traite n’est vraiment pas normale, que cela vienne des recruteurs, des clients ou des visiteurs. J’ai travaillé régulièrement dans un salon VIP au Stade de France. Une fois, pendant un match il neigeait, la température était glaciale… Et pourtant, on devait travailler dehors, en robe, collants et petit châle. En souriant, bien sûr. On devait être 500 hôtesses, et il n’y avait qu’une quinzaine de manteaux. Aucune chance d’en avoir un si on n’était pas pote avec celui qui les répartissait. Résultat : la semaine suivante, la moitié des filles étaient tombées malades. J’ai souvent eu l’impression de ne servir à rien d’autre qu’à être debout pendant cinq heures, sourire, dire bonjour. La plupart des tâches que je devais effectuer (débarrasser les gens de leur manteau, leur tenir la porte ou leur attacher des bracelets au poignet), ils auraient pu les faire. J’ai souvent eu l’impression d’être déshumanisée, transformée en poupée : il fallait être jolie, selon leurs critères, porter des robes et des talons, acheter la teinte de rouge à lèvres qu’on nous indiquait, relever nos cheveux en chignon, ne surtout pas avoir de pilosité apparente… Le tout à nos frais, bien sûr. Dans les agences, on s’aperçoit vite que les filles les plus sollicitées font au maximum une taille 38 et mesurent toutes plus d’1,65 m. Celles qui ont les cheveux crépus doivent impérativement les lisser. On subissait des remarques sexistes en continu, sur nos tenues, nos décolletés… Sans jamais pouvoir répondre. Parce que se rebiffer, c’est prendre le risque d’être blacklistée. En fait, je me rends compte qu’avant de vous parler, on ne m’avait jamais demandé mon avis en tant qu’hôtesse. Personne ne s’intéresse à nous.»