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Libération
Récit

Vincenzo Vecchi : du G8 de Gênes, un sommet de violence policière

Les affrontements de juillet 2001, qui ont fait six cents blessés et un mort, ont été marqués par la réaction disproportionnée des forces de l’ordre. Des abus reconnus tardivement par les autorités italiennes.
Des policiers font face aux militants altermondialistes (au fond) lors du G8 de Gênes, le 21 juillet 2001. (GABRIEL BOUYS/Photo Gabriel Bouys. AFP)
publié le 15 août 2019 à 20h46

A quelques jours du prochain G7, qui se tiendra du 24 au 26 août à Biarritz, l'affaire Vecchi ravive le souvenir d'un autre sommet resté célèbre : le G8 de Gênes, en juillet 2001. Condamné à douze ans et demi de prison pour «saccages et pillages» lors du rassemblement altermondialiste italien, le militant d'extrême gauche Vincenzo Vecchi vient d'être rattrapé dans un petit village du Morbihan, plus de dix-huit ans après les faits, sur la base d'un mandat d'arrêt européen dont il conteste la régularité.

Point d’incandescence de la lutte anticapitaliste et moment déterminant de l’histoire récente de l’Italie, les journées de Gênes ont donné lieu à de violents affrontements, dont on retiendra surtout les images de chaos et le bilan tragique : 600 blessés parmi les manifestants et 1 mort, Carlo Giuliani, 23 ans, tué d’une balle dans la tête par un carabinier pris de panique lors d’une émeute. L’Italie n’avait pas connu de manifestation mortelle depuis 1977.

Stratégie de la tension

Pendant trois jours, Gênes fut le théâtre d'une véritable guérilla urbaine autour de la «zone rouge», périmètre de 4 kilomètres carrés protégeant les chefs d'Etat et de gouvernement dans la partie historique de la cité, que certains groupes avaient promis de prendre d'assaut. Si la présence de nombreux militants autonomes était prévue de longue date par les services de renseignement italiens, la réaction policière s'est avérée largement disproportionnée.

La stratégie de la tension, encouragée à l'époque par le gouvernement de Silvio Berlusconi, atteint son apogée le 22 juillet 2001, lors de l'assaut de l'école Diaz, QG des organisateurs de l'anti-G8 et centre des médias alternatifs. Cette nuit-là, pensant trouver des activistes radicaux infiltrés parmi les militants pacifistes, plusieurs dizaines de policiers font irruption dans le bâtiment et tabassent tous azimuts, blessant gravement une soixantaine de personnes. «Au lieu d'éviter la violence, la police la provoque», témoigne le réalisateur italien Ettore Scola, venu filmer les protestations anti-G8.

Gestion «catastrophique»

Les quelque 300 militants interpellés à l'école Diaz passeront ensuite trois jours à la caserne Bolzaneto, convertie pour l'occasion en local géant de gardes à vue, où pleuvent les coups et les insultes. La répression des journées de Gênes sera qualifiée des années plus tard par Amnesty International de «plus grande violation des droits humains et démocratiques dans un pays occidental depuis la Seconde Guerre mondiale».

En Italie, ces violences inédites ont donné lieu à de nombreuses enquêtes judiciaires, mais bien peu ont abouti. En novembre 2008, lors de ce qu'on a appelé le «procès de l'école Diaz», treize hauts responsables de la police italienne ont finalement été condamnés à quatre ans de prison pour «coups et blessures» et «falsification de preuves» - ils avaient eux-mêmes apporté des cocktails Molotov… Mais aucun ne purgera sa peine, en vertu d'une loi d'amnistie votée en 2006. Quant à l'enquête sur la mort de Carlo Giuliani, elle a été classée sans suite.

Il faudra attendre 2017, soit seize ans après les faits, pour que les autorités reconnaissent officiellement que la gestion du maintien de l'ordre a été «catastrophique». «A Gênes, un nombre incalculable de personnes innocentes ont subi des violences physiques et psychologiques qui les ont marquées à vie», a admis Franco Gabrielli, chef de la police italienne, reconnaissant que tout avait «sauté dès le départ», et ce jusqu'à la «funeste irruption à l'école Diaz». «Si, aujourd'hui encore, c'est un motif de douleur, de rancœur, de défiance envers la police, cela signifie que la réflexion n'a pas été suffisante», a-t-il ajouté.

A la différence des policiers poursuivis, les dix militants identifiés lors des affrontements du G8 - les fameux «dix de Gênes», dont fait partie Vincenzo Vecchi - ont écopé de peines exemplaires, allant jusqu'à quinze ans d'emprisonnement. Lors du procès, leurs avocats ont souligné la «disproportion abyssale des peines entre des dommages causés à des biens et ceux infligés à des personnes».