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Libération
Récit

Tourisme : les bronzés font du souci

Congestion des villes et des routes, augmentation des prix de l’immobilier, pollutions diverses… Si le tourisme de masse constitue un revenu majeur pour la France, il est aussi source de problèmes épineux.
A Martigues, en 2016. (Photo Camille Moirenc. Hemis)
publié le 19 août 2019 à 21h26

Ces chiffres, on les égrène généralement avec fierté. Sans s’interroger sur leur impact pour les habitants, sur les nuisances qu’ils provoquent, sur la manière dont ils transforment notre pays. Parce qu’ils flattent notre sentiment de supériorité, parce qu’ils témoignent de notre désirabilité et notre puissance. On en fait chaque année des articles optimistes et des communiqués triomphants, bardés de cocoricos. La France revendique d’être le pays au monde qui attire le plus de touristes étrangers : 89,3 millions sont entrés sur notre territoire en 2018, selon Bercy. Un record historique et un volume en progression quasi constante depuis six ans. La très grande majorité de ces contingents en goguette sont fournis par les Européens, qui représentent toujours 70 millions des «arrivées». Mais le dynamisme se trouve du côté des touristes venant d’Asie (6,4 millions, + 7,4 % sur un an), d’Afrique (2,9 millions, + 4,3 %) ou des Amériques (9 millions, + 3,8 %).

Louvre

Pourtant, d’autres chiffres, moins flatteurs, existent. Si l’on parle de recettes touristiques en espèces sonnantes et trébuchantes, notre pays dégringole à la troisième place mondiale. Avec 54 milliards d’euros en 2017 selon l’Insee, il arrive largement derrière les Etats-Unis (187 milliards) et l’Espagne (60 milliards). En voyage, on reste plus longtemps là-bas qu’ici… Qu’importe ! La France se vit comme un grand pays touristique et elle n’a pas tort. Ainsi Paris place trois de ses musées parmi les 20 les plus fréquentés du monde. Avec 10,2 millions de visiteurs, Le Louvre demeure le leader mondial, avec une fréquentation par exemple quarante fois supérieure à celle du MoMA de New York.

Il serait donc inconcevable pour un Etat, une région, une ville, de renoncer à ces revenus qui accroissent les performances économiques à court terme. D'autant qu'à la différence de l'industrie manufacturière, les restaurants, parcs de loisirs et autres musées ne se délocalisent pas. Reste que la croissance du tourisme engendre mécaniquement une progression des déplacements. Or un visiteur étranger sur trois se rend dans l'Hexagone en avion tandis que la moitié utilise la route. Et lorsque ces estivants viennent des Etats-Unis ou d'Asie, ils utilisent le transport aérien dans un cas sur deux. Le train, même pour les déplacements intra-européens, peine à séduire plus de 10 % des voyageurs. En ces temps de «flyshaming» et de calculs des émissions de CO2 pour chaque déplacement, ce coût écologique ne tardera pas à être mis au passif de la rente touristique.

Les recettes générées par ces 89 millions de visiteurs ne sont pas, non plus, sans conséquence sur la vie quotidienne des habitants vivant dans les zones les plus visitées, comme Paris, la Côte d'Azur ou le Pays basque. «La vie devient plus chère, les loyers augmentent, l'offre de logements s'oriente vers les touristes. Il y a un phénomène d'éloignement des populations locales pour trouver des logements et une vie moins chère. Cela entraîne le sentiment d'être chassé de son lieu de vie par le tourisme. De l'autre côté, ceux qui se trouvent au cœur des lieux touristiques doivent supporter les nuisances comme le bruit, les embouteillages, les déchets et dégradations», constate le sociologue Rodolphe Christin, auteur du Manuel de l'antitourisme.

Fantasmes

Il ajoute : «L'autre conséquence c'est que les villes deviennent de plus en plus des lieux touristiquement formatés. On multiplie les festivals, les attractions, les propositions de divertissements multiples et variées.» Parfois au détriment de la vie quotidienne des habitants. Et au risque de donner raison à Michel Houellebecq, qui dessinait dans son roman la Carte et le Territoire l'image d'un pays figé dans les représentations fantasmées de ceux qui viennent le visiter.