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Libération
Reportage

Rentrée politique : de Toulouse à La Rochelle, les gauches rejouent le contact

Au fil de leur week-end de rentrée politique, socialistes, insoumis et écolos se sont parfois rapprochés, parfois recadrés, avec en ligne de mire le scrutin municipal de 2020. Tous sont au moins d’accord sur un point : l’importance cruciale de l’écologie.
Yannick Jadot, député européen et leader d'EE-LV, au campus du Mirail à Toulouse, vendredi. (Photo Matthieu Rondel. Hans Lucas)
publié le 25 août 2019 à 20h36

Une rentrée presque banale pour les gauches : des promesses, des bisous et des tacles. Entre Toulouse et La Rochelle, les écologistes, les socialistes et les insoumis ont échangé, parfois à distance, d’autres fois face à face, pour tenter de trouver un chemin commun. Ils partent de très loin. Et rien ne semble facile. Néanmoins, cette rentrée, à quelques mois des élections municipales, a mis en lumière les différents rapports de force et les rapprochements esquissés. Personne ne sait à quoi ressemblera la gauche de demain. Mais voilà à quoi elle ressemblait ces quatre derniers jours.

Jeudi soir Les gauches se reparlent

Les organisateurs ouvrent les portes à la presse. Le moment est trop beau. A Toulouse, dans un petit coin de l'université du Mirail, les gauches se parlent : Yannick Jadot (Europe Ecologie-les Verts), Raphaël Glucksmann (Place publique), Adrien Quatennens (La France insoumise), Delphine Batho (Génération écologie), Guillaume Balas (Génération·s), Cécile Duflot (Oxfam)… Des petits groupes se forment. Blagues, vin, fromage et melons. Personne n'évoque l'avenir politique. On assiste à une prise de contact. Une situation qui agace un petit peu le fondateur du mouvement Place publique, qui aimerait pour sa part passer la seconde vitesse, avec les municipales en ligne de mire. «Depuis le soir des européennes, la gauche ronronne un peu, c'est un peu mou. J'ai peur qu'elle se réveille trop tard, déclare le député européen. Le seul qui ne ronronne pas, c'est Jadot, il veut être président de la République et ça se voit.» Rires.

En politique, les choses changent. Entre les insoumis et les écolos, par exemple, le dialogue a souvent été tendu, avec des coups de pied sous la table des deux côtés à la moindre occasion. Ces dernières semaines, la méfiance est moins forte et le climat plus doux. Terminé, les noms d'oiseaux. D'ailleurs, Adrien Quatennens l'affirme : «Nous sommes toujours ouverts au dialogue avec les forces politiques qui prônent un changement radical.» Le député du Nord ne met pas sur le même plan le secrétaire national d'EE-LV, David Cormand, et Yannick Jadot. Selon lui, le premier est «clair» dans son rapport au monde libéral et à la droite, contrairement au second. Le début d'un long week-end…

Vendredi après-midi Pas de deux entre écolos et insoumis

David Cormand se pointe en short au Centre des congrès de Toulouse pour participer à une conférence à l'université d'été de LFI. Un tête-à-tête avec François Ruffin, afin de tenter de dessiner un futur en commun. Discussion sans tabou dans une grande salle trop climatisée. Le chef des écolos critique la stratégie populiste qui, selon lui, ouvre le chemin à l'extrême droite. Pas d'applaudissements mais pas de sifflets non plus. François Ruffin, qui prépare un grand livre sur l'écologie, souligne la faiblesse des Verts au sein des milieux populaires et ouvriers. A la fin du débat, le député de la Somme propose de mettre au monde un «front populaire écologique».

Dans la foulée, les rôles s'inversent. Cormand et Ruffin, escortés par la presse, prennent le métro en direction de l'université du Mirail pour une conférence à l'université d'été d'EE-LV. Le député européen Damien Carême est présent pour accueillir l'insoumis, Yannick Jadot aussi. La photo est belle. Ils marchent l'un près de l'autre, tous deux en chemise blanche. L'hiver dernier, l'ambiance était différente… En pleine campagne européenne, Jadot classait en effet Ruffin dans la bande des méchants, disait de lui qu'il était un «dangereux» populiste. Aujourd'hui, c'est plutôt : «Je souhaite échanger avec tous les gens intelligents, et François est très intelligent.» Les temps changent.

Vendredi fin d’après-midi Jadot rassure

La petite foule se tasse au centre de l'université du Mirail pour l'un des temps forts du week-end : le discours de Yannick Jadot. Tout le monde à l'air heureux. Le Vert monte sur scène et fait des signes de la main. L'an dernier, pour la rentrée des écolos qui se déroulait à Strasbourg, sous une petite tente et un soleil pas très rayonnant, les doutes s'affichaient sans complexe sur tous les visages. Aujourd'hui, c'est l'inverse. Les Verts se voient grands, beaux et forts. Et après quelques sorties polémiques cet été, Jadot met un terme aux petites tensions. Les appels du pied au centre, c'est fini. Il prône une écologie «sociale», qui doit «permettre de repenser la solidarité en réduisant les fractures et redonner du sens à l'économie».

La foule est rassurée. Les applaudissements fusent. On discute un peu après le discours. De la joie, de la prudence aussi. La peur d'un «raté» aux municipales est présente. Un dirigeant : «Nous avons de l'ambition et nous avons de grands objectifs… C'est bien, mais si ça ne marche pas, ça risque de faire mal. On aborde l'une des élections les plus importantes de notre histoire.» Un peu plus loin, une élue revient sur le cas Isabelle Saporta, la compagne de Jadot, qui s'est engagée avec Gaspard Gantzer pour les municipales à Paris alors qu'un candidat EE-LV est en lice. Un choix «étrange» et «incompréhensible» pour beaucoup de militants. Yannick Jadot, lui, s'agace et répète à l'envi que son amoureuse est une femme «indépendante et libre».

Samedi après-midi La vie sans Mélenchon

Au Palais des congrès de Toulouse, la jeune garde s'invite dans la salle de presse après la déclaration du président de la République depuis Biarritz. La France insoumise garde un œil attentif sur le G7 et le contre-sommet. Debout, face aux micros et aux flashs, Adrien Quatennens, Mathilde Panot et Manuel Bompard ne se montrent pas très emballés : «L'humanité est au pied du mur.» Le député du Nord rêve d'une «rupture calme» avec le modèle actuel en prenant des «décisions radicales». Tous dénoncent les accords de libre-échange. La jeune garde tente de se faire entendre mais leurs mots n'ont pas la même puissance que ceux du chef, Jean-Luc Mélenchon, qui passe son été en Amérique latine pour se «ressourcer» politiquement.

Pour autant, son absence ne freine pas les débats, notamment sur l'avenir de LFI. Après la chute aux européennes, le mouvement est-il taillé pour repartir à la conquête du pouvoir ? Ou bien faut-il récrire une histoire ? Un député penche pour la seconde option et plaide pour un nouveau mouvement qui «rassemble» plus largement, en vue de 2022. D'autres refusent d'enterrer La France insoumise. Une réflexion devrait avoir lieu dans les prochains mois.

Samedi soir Faure fait la leçon à Jadot

Samedi soir à La Rochelle, un petit millier de militants du Parti socialiste - sur les 2 000 participants inscrits au Campus19, selon les décomptes de la direction - débarque dans un hangar pour assister au discours d'Olivier Faure, le premier secrétaire. Au sein du PS aussi, le temps de l'écologie est acté. «L'écologie, pour être viable, doit être sociale, et la société, pour être durable, doit être écologique, martèle Faure. Le libéralisme économique est toxique pour les hommes comme pour la planète.» Et le chef de file socialiste d'appeler à nouveau au «rassemblement» de la gauche pour les municipales et même au-delà «parce que la division» amène à «l'absence d'un candidat de gauche au second tour de l'élection présidentielle».

Olivier Faure (PS) à La Rochelle, samedi. Photo Albert Facelly

Un peu plus tôt dans la journée, Olivier Faure lançait : «Si j'avais été Yannick Jadot au lendemain des européennes, j'aurais été celui qui organise l'union de la gauche et des écologistes […] et c'est comme ça que j'aurais construit un leadership.» A ceux qui critiquent sa gouvernance, il a rappelé que «l'effacement [du parti] a eu lieu» avant d'appeler les militants à ouvrir «la voie du rassemblement».

La soirée des socialistes s'est poursuivie par un buffet et un karaoké «avec un groupe qui jouait en live», raconte Valentin, 25 ans, militant de Levallois. Olivier Faure a entonné plusieurs chansons, notamment We Are the Champions de Queen et l'Internationale a cappella en bouquet final, face à des militants qui levaient le poing. «Il chante plutôt pas mal», trouve Valentin.

Dimanche matin Faure fait la leçon à Glucksmann

«Les Verts, le PS, dans leur forme actuelle, sont tous appelés à mourir.» Ces propos tenus quelques jours auparavant sur France Inter par Raphaël Glucksmann, tête de liste PS-Place publique aux élections européennes, ont beaucoup fait parler élus et militants lors du Campus19 de La Rochelle. Le brunch de clôture, dimanche matin, a été l'occasion pour Olivier Faure, d'y revenir. «Ça ne veut pas dire qu'il faut détruire les partis politiques, mais si sa volonté est de dire qu'il faut que nous nous remettions en cause, alors dans ce cas-là, je pense comme lui, a affirmé le premier secrétaire. Si nous restons figés, si nous faisons comme toujours, alors cela nous conduira aux mêmes résultats.»

A son arrivée à l'université d'été, samedi, Raphaël Glucksmann avait souhaité «lever tout de suite un malentendu» et tenté d'éteindre la polémique. «Il ne faut pas supprimer» les partis politiques, a précisé l'eurodéputé, mais «s'inscrire dans une forme de fidélité à l'histoire qui est la capacité à dépasser sa propre structure». Un rétropédalage en douceur. Deux jours plus tôt, l'essayiste expliquait que «la seule solution pour proposer une alternative à Emmanuel Macron, c'est de dissoudre, de dépasser les partis politiques qui existaient avant Emmanuel Macron». Pas du meilleur effet pour lancer une université d'été. Faure avait donc exigé des explications. «On ne peut pas annoncer la mort des partis au moment où nous nous parlons, on ne peut pas faire le jeu de ceux qui cherchent à capter la vie politique autour d'hommes ou de femmes providentiel·lle·s», avait-il tancé.