Pendant plus de quarante ans, Bernard Turella s'est rendu quasiment tous les jours à sa paroisse. Jeune, d'abord, en tant qu'enfant de chœur. Puis, à 33 ans, il a abandonné un poste à responsabilité dans une grande boîte de la région pour devenir animateur paroissial à l'église Saint Jean Villenouvelle de Montauban (Tarn-et-Garonne), par souhait de privilégier «la foi au fric». Un choix qu'il n'avait jamais regretté jusqu'à présent. Mais en juin, Bernard Turella a appris par courrier qu'il allait être licencié par le diocèse de Montauban qui l'emploie, avec huit autres des vingt-trois salariés, tous «laïcs».
Pourquoi ces licenciements posent-ils question ?
Pour se justifier, l'évêque, Mgr Ginoux, a mis en avant une décision purement économique : à cause d'une baisse des dons et legs, le diocèse aurait accumulé un déficit de 400 000 euros. L'église n'a donc plus assez d'argent pour payer les salaires. Circulez. «Qu'il y ait des problèmes financiers, on peut le comprendre», admet Krystine Fayolle, également animatrice paroissiale et limogée après vingt-quatre ans de salariat à La Ville-Dieu-du-Temple. «Mais ce que l'on regrette, c'est le manque d'humanité. Le traitement qu'on nous a réservé, c'est pire que dans une grande entreprise. Même chez Bolloré, ils n'auraient pas fait ça comme ça», poursuit-elle. «Ça a été extrêmement brutal, personne au sein de l'Eglise ne nous a parlé», confirme Bernard. Il se souvient d'ailleurs que le jour de son départ, au milieu du mois de juillet, lorsqu'il a fermé la porte de sa paroisse pour la dernière fois, «personne n'était là pour [lui] dire au revoir». «Je suis parti sans me retourner, et je n'ai plus jamais remis les pieds à la paroisse depuis. Ça a abîmé ma foi en quelque sorte. D'habitude, sur mon lieu de vacances l'été, je cherche une église pour aller à la messe le dimanche. Cette année je ne l'ai pas fait», raconte ce quinquagénaire.
La communauté chrétienne de la région s'est aussi élevée contre le manque de transparence entourant cette décision du diocèse. La plupart des fidèles n'ont appris l'existence du plan social qu'une fois les licenciements effectifs. Au sein même de l'Eglise, y compris dans les paroisses concernées, beaucoup n'en ont été informés qu'une fois la décision prise. Ce que regrette amèrement Jacques Gibert, curé à La Ville-Dieu-du-Temple : «Je n'ai pas été averti, non, je l'ai appris avec tout le monde… La moindre des choses aurait été de m'en informer, je suis un peu [le ] responsable [de Krystine Fayolle]. Je trouve surtout que c'est une décision rapide. Elle a été prise courant avril avant de devenir effective en juillet, ça laisse peu de temps pour réfléchir», affirme l'homme d'église.
Le plan social aurait-il pu être évité ?
Aujourd'hui, les neuf salariés licenciés pointent à Pôle Emploi. Une situation difficile à accepter pour la plupart, à quelques années à peine de la retraite. «Il coûte plus cher de payer les licenciements que de payer les salaires jusqu'à la retraite, c'est incompréhensible», souffle Krystine Fayolle. «Pour moi, me rendre à Pôle Emploi à 56 ans pour la première fois alors que j'ai commencé à travailler à 18 ans, ça a été très éprouvant. J'ai dit à mon conseiller que je ne savais même pas ce que c'était que Pôle Emploi», reconnaît Bernard Turella. Une situation d'autant plus difficile que pour certains fidèles, il aurait pu en être autrement. «On est persuadés que si on nous avait dit que l'église était en difficulté, on aurait pu se mobiliser pour les aider et payer les salaires. Pourquoi on ne nous a pas sollicités ? Quelles étaient les autres solutions ?» s'interroge-t-on au sein la communauté. «Tout le monde est venu nous voir quand ils ont appris qu'on était licenciés pour nous dire qu'ils auraient souhaité faire des dons», confirme Krystine Fayolle. L'évêque, pour l'instant, reste muet et n'a pas répondu à nos sollicitations.
Quelle est la situation financière du diocèse ?
La situation financière du diocèse de Montauban et ses pertes récurrentes sont au cœur du débat qui agite cette communauté. Dans un billet publié par le bulletin catholique du mois de juillet, l'évêque, Bernard Ginoux, tire la sonnette d'alarme : «Un déficit de 400 000 euros obligeait à prendre des mesures drastiques.» Il poursuit en affirmant qu'il «fallait procéder rapidement à une réduction notable des charges de fonctionnement», et donc à une diminution de la masse salariale.
Selon les informations financières auxquelles Libération a pu avoir accès, le budget de l'association diocésaine de Montauban était en 2017 de 3,4 millions d'euros, auxquels sont venus s'ajouter 911 436 euros de dons et legs, ce qui a permis de dégager un excédent de 543 131 euros. Le budget est alimenté par deux sources de revenus : le denier de l'Eglise (qui correspond aux versements réguliers effectués par les fidèles) et les dons et legs (qui constituent de plus gros montants, mais sont aléatoires car souvent liés à des donations faites à la suite de décès). Si 2017 a été une «bonne année» en termes de dons, 2018 n'a permis de récolter que 68 000 euros selon le vicaire général du diocèse. Or c'est cette ressource qui permet, chaque année, de boucler le budget. Les licenciements auraient donc été motivés par ces recettes en baisse.
Au sein du diocèse, les salaires des «laïcs» représentent une charge annuelle de 713 000 euros et ceux des «religieux» seulement 594 000 euros. Ce sont donc les premiers qui ont été visés par les neuf suppressions de poste, à commencer par le service communication, dont le coût est estimé à 122 000 euros par an. Un membre de l'association du diocèse, familier des comptes, s'insurge contre cette présentation des faits et des chiffres : «La masse salariale du personnel religieux ainsi mentionnée est uniquement celle de leur traitement de base, il faut y ajouter l'indemnité de messe (17 euros par jour), les frais de déplacements et de logement, ce qui augmente sensiblement la somme de 594 000 euros.» Même contestation sur le budget communication : «Des économies substantielles auraient pu être réalisées en remplaçant le bulletin papier imprimé et acheminé par la poste par un document informatique envoyé par mail. Quant au service lui-même, il aurait pu être mutualisé avec d'autres diocèses, voisins, afin d'en partager le coût.»
Le même interlocuteur, qui a tenu à garder l'anonymat, s'étonne du recrutement de sept prêtres en 2018 alors que le déficit de 400 000 euros se précise. Est également remis en question, le recours ces dernières années à treize prêtres «hors de France». Le diocèse doit prendre en charge leurs frais de formation et de déplacement, car ils viennent souvent dans l'Hexagone pour achever leur cursus. «Sans eux, nous n'arriverions pas à assurer le service dans nos vingt-deux ensembles paroissiaux», estime Laurent Bonhomme, le vicaire général, numéro 2 de l'institution.
Alertée par la situation financière du diocèse, la Conférence des évêques de France (CEF) a accordé une aide de près de 200 000 euros et diligenté un audit financier. Ce document, qui n'écarte pas la possibilité de recourir à des licenciements, ouvrait semble-t-il d'autres voies pour résorber le déficit. Il a été remis uniquement à l'évêque, Bernard Ginoux. «Cet audit a conclu en effet qu'il y avait plusieurs façons de résoudre la situation économique. Il se trouve que parmi toutes les solutions, l'évêque en a choisi une, la plus radicale : le licenciement économique», explique le prêtre Jacques Gibert. Libération a demandé à y avoir accès, sans succès, pas plus qu'il n'a été possible, malgré nos demandes répétées, de connaître les principaux chiffres des comptes 2018.
Une répartition des fonds révélatrice de tensions ?
Les relations paraissent à ce jour on ne peut plus tendues entre les «laïcs» du diocèse (salariés, ex-salariés, ou encore fidèles) et les «religieux» (prêtres, évêque). Les premiers s’inquiètent d’un pouvoir grandissant des seconds. Les licenciements intervenus en seraient l’une des illustrations puisqu’ils concernent uniquement des «laïcs». Dans ce conflit larvé, la personnalité de l’évêque de Montauban, Bernard Ginoux, est pointée et notamment ses prises de positions, fort conservatrices, au moment de l’affaire Vincent Lambert ou lors de la Manif pour tous. Le chef du diocèse de Montauban, 4 000 abonnés sur Twitter, est très attentif à la visibilité de ses actions.
Son pouvoir, assez centralisateur, est visiblement contesté par un certain nombre de ses paroissiens. En témoigne une controverse sur la gestion du «dépôt des paroisses». Ces fonds, provenant des collectes réalisées dans chaque paroisse, ont durant longtemps été gérés par chacune d’entre elles, notamment pour financer les travaux d’entretien des bâtiments. Depuis plusieurs mois, ces sommes - il y en a pour près de deux millions d’euros au total - sont administrées de manière centrale par le diocèse. Résultat, les paroisses commencent à se plaindre de ne pouvoir utiliser librement l’argent qui leur revient.
Le 3 juillet, l'abbé Louis Albert, le spécialiste juridique du diocèse, s'était fendu d'un courrier assez sec à sa hiérarchie. Il s'y inquiète du fait que certaines paroisses n'arrivent plus à se faire débloquer les fonds qui leur appartiennent et rappelle, qu'il s'agit là d'une atteinte au droit canonique. Il termine son courrier de manière particulièrement explicite : «La situation actuelle est malsaine et jette la suspicion sur l'ensemble de l'administration diocésaine.» Les probables recours des salariés licenciés devant le conseil des prud'hommes, ainsi que la demande d'un audit financier indépendant, pourraient rendre l'ambiance encore plus tendue.