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analyse

Sarkozy-Hollande : la politique hantée par ses ex

Des étals des librairies aux coulisses de leurs partis respectifs, les deux anciens présidents, un mandat chacun au compteur, ne se sont jamais vraiment éloignés de la vie publique.
Au Parc des princes lors d’un match PSG-Nîmes, le 23 février. (Photo DFY. KCS Presse)
publié le 28 août 2019 à 20h46

S’ils ont quitté l’avant-scène, c’est contraints et forcés. Et ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande n’ont dit, sans que la moindre ambiguïté puisse être décelée dans leurs propos, que plus jamais ils ne seraient candidats à l’Elysée. Les deux prédécesseurs d’Emmanuel Macron sont-ils retraités ou seulement retirés de la vie politique ? Le savent-ils vraiment eux-mêmes ? Aucun des deux ne fait en tout cas figure de recours naturel pour son camp. Pas si étonnant alors que Hollande, qui a soufflé 65 bougies le 12 août, a été poussé dehors par les siens sans même pouvoir concourir à un second mandat. Et que Sarkozy, qui aura 65 ans à son tour en janvier, a été évincé dès le premier tour de la primaire de la droite, fin 2016.

Si ces «ex» ne sont plus dans la vie politique active, ils continuent d’avoir, notamment en librairie, une vie publique où la politique est rarement loin. Sarkozy sera ainsi l’invité vedette du Medef ce jeudi. Mais alors que le PS comme LR, absents de la finale de la dernière présidentielle, restent dans un piteux état électoral et ne se sont pas retrouvés de leaders, les obstacles à un retour d’un des deux ex ne manquent pas. Encore très populaire dans son camp, Sarkozy a surtout un agenda judiciaire chargé pour les années qui viennent. Quant à Hollande, qui n’est, lui, menacé par aucune affaire, son capital politique apparaît famélique à gauche tandis que nombre des sociaux-libéraux du parti socialiste ont basculé chez Macron. Pour le dire autrement, Hollande est moins populaire dans ce qu’il reste du PS que Sarkozy auprès de la droite d’aujourd’hui. Le premier est d’ailleurs ignoré par Macron, qui a construit sa candidature en le lâchant, quand le second, avec lequel les points communs ne manquent pas, est fort bien traité.

Sarkozy comme Hollande peuvent toutefois légitimement garder un goût d'inachevé, après un seul mandat et une sortie qu'ils n'ont pas choisie. De là se rêver un rôle en 2022… Interrogée sur son propre sort, Ségolène Royal, en quelque sorte la troisième du lot, a lancé : «Moi, je n'ai pas été présidente de la République, donc j'ai le droit d'y penser un peu.»

Nicolas Sarkozy, chouchou à droite, «repoussoir» ailleurs

Quelle est sa vie aujourd’hui ?

Officiellement retiré de la vie politique active - statut que son proche entourage nous a confirmé mercredi -, Nicolas Sarkozy émarge depuis 2017 comme administrateur indépendant chez Accor, le géant de l'hôtellerie dirigé par Sébastien Bazin, un proche. Cela lui a rapporté 80 000 euros en 2018. Depuis le mois de mai, il siège aussi au conseil d'administration du groupe Barrière, qui exploite des casinos et des hôtels de luxe… ou encore le Fouquet's. Là encore, le patron est un proche. Sarkozy reste en outre «très sollicité» pour des conférences, «et pas seulement à l'étranger», confie son entourage. En octobre 2018, il était une des têtes d'affiche du sommet Natixis Investment Managers avec les anciens Premiers ministres Matteo Renzi et Gerhard Schröder.

Mais cet été, ce sont surtout ses séances de dédicaces pour son livre Passions qui l'ont occupé. Sorti fin juin, ce récit autobiographique s'est déjà écoulé à 230 000 exemplaires et plusieurs dizaines de milliers ont été réimprimés. L'occasion pour «l'ex» de revivre un peu de la sarkomania d'antan à Toulon, en terrain conquis, où 500 personnes ont fait la queue, ou à Nice avec une file d'attente de 300 fidèles lundi. «Sarkozy superstar» a titré en une Nice Matin. Le 15 août, on l'avait aussi vu aux commémorations du débarquement de Provence, au côté de Macron.

Sa rentrée parisienne se déroulera ce jeudi matin, en guest-star de l'université d'été du Medef, dont l'édition 2019 est intitulée «Nos futurs». Il y abordera les grands enjeux géopolitiques. «Dès lors qu'il est bien clair qu'il n'a pas l'intention de revenir et qu'il ne parle pas de politique intérieure, aucune raison qu'il refuse [une telle invitation], souligne son entourage.Mais il ne veut surtout pas être dans le commentaire. Il souhaite partager et témoigner de son expérience.» A l'automne, il participera à la convention nationale du Crif.

Comment son camp le voit-il ?

Sa défaite au premier tour à la primaire de la droite, fin 2016, a été une claque et constitue un probable clap de fin à sa longue carrière politique. Il n'empêche, «Sarko» reste la personnalité préférée à droite et sûrement la plus puissante dans son camp. De Laurent Wauquiez hier à, faisons ce pari, Christian Jacob demain, personne ne peut imaginer diriger LR sans avoir été adoubé par «Nicolas». De figure tutélaire à envahissante, il n'y a qu'un pas. Personne à LR n'est assez aventureux pour dénoncer publiquement son incapacité à sortir vraiment du jeu, mais le député Guillaume Larrivé, candidat à la présidence de LR, a dénoncé l'influence persistante - et nuisible - des sarkozystes. Sa cote d'amour est presque intacte auprès de son noyau (en juin selon l'Ifop, 65 % des sympathisants LR en appelaient à lui) mais l'hypothèse d'un retour donne des sueurs froides aux présidentiables de droite et à toute une génération qui veut tourner la page. Il n'y a bien que Nadine Morano pour affirmer, non sans raison, que Sarkozy reste «le garant de l'unité de la famille» et son «point de rassemblement», ajoutant qu'il «exerce une tutelle morale et politique»… Et de lancer, nostalgique du candidat de 2007 : «Avec lui, tout devient possible.» Une figure du parti, convaincue que Sarkozy cherche «bien évidemment à revenir», est plus sévère sous couvert du off : «Il est très populaire mais il agglomère la droite nostalgique et il incarne la machine à perdre.»

Quel crédit auprès des Français ?

Si, à droite, l'agenda judiciaire de Sarkozy n'a quasiment jamais été un obstacle à ses ambitions politiques, il en va autrement chez l'ensemble des Français. Et son bilan reste en mémoire de bien des électeurs : trop droitier pour la gauche évidemment, mais aussi pour tous les juppéistes passés depuis chez Macron ; trop mou et pas au rendez-vous de ses promesses de campagne pour l'électorat lepéniste. «L'effet repoussoir de Nicolas Sarkozy est encore très fort», notait fin juin Frédéric Dabi, analyste chez Ifop, en commentant un sondage sur un possible retour de l'ancien chef de l'Etat : 73 % des Français ne le souhaitent pas.

Quelle relation avec Macron ?

Ça saute aux yeux, Macron «soigne» Sarkozy, lequel a le plus souvent des mots doux à son endroit. Une complicité non dénuée d’arrière-pensées. Quoi de mieux que de s’afficher régulièrement avec la personnalité la plus populaire à droite pour couper l’herbe sous le pied de LR ? Et pour Sarkozy, ce pas de deux gratifiant est un bon moyen d’être régulièrement dans la lumière, entre tuteur désintéressé et parrain expérimenté. Mais comment construire un retour pour délivrer les Français de Macron alors que celui-ci mène une politique que, sur bien des points, la droite ne renierait pas ?

François Hollande, le «traître» qui encombre à gauche

Quelle est sa vie aujourd’hui ?

François Hollande se balade. Dans le jargon, ça donne : «Le président va à la rencontre des Français.» Exemple : il se rendra la semaine prochaine à la foire de Châlons. L'an dernier, l'ancien chef d'Etat s'était invité dans plusieurs collèges, un peu partout dans le pays, afin d'échanger sur les dangers à l'horizon. Hollande tente également de se tenir à l'écart des journalistes pour ne pas alimenter l'actualité politique de petites phrases. Dans le jargon, ça donne : «Prendre de la hauteur.» Le socialiste préfère disserter sur l'importance de la sociale-démocratie, l'un de ses sujets phares. Mais il lui arrive aussi de diversifier son propos. Cet automne, il publiera un nouveau livre, une «réflexion» sur les institutions et la démocratie. Une bonne raison de (re)partir en balade. En 2018, lors de la sortie de ses Leçons du pouvoir (200 000 exemplaires vendus selon l'éditeur), il avait fait le tour de France des librairies. Un succès inattendu. Cette fois, François Hollande ira à la rencontre des étudiants, dans les facs. Après, si le succès est à nouveau au rendez-vous et que les librairies l'invitent pour des séances de dédicaces, on le voit mal décliner. Dans le jargon, ça donne : «Etre à l'écoute des Français.» Parfois, il s'exporte. En novembre, il ira à Cuba pour le 500e anniversaire de La Havane, avant New York pour un discours à l'ONU.

Comment son camp le voit-il ?

L'ancien chef d'Etat clive. Les militants socialistes ne lui tombent pas dessus. Une majorité souligne les faux pas du quinquennat sans oublier de rappeler les avancées. Il suffit de se rendre à ses côtés dans une section socialiste pour comprendre. A l'étage du dessus, celui des élus d'aujourd'hui et d'hier, l'ambiance est différente. La série sur le Parti socialiste parue dans les colonnes du Monde permet de mesurer l'animosité, voire la haine, qui habite plusieurs dirigeants. François Hollande prend cher. Le quinquennat a laissé de profondes traces. Beaucoup parlent de «trahison». Et flippent d'une chose : son retour au premier plan. «On ne sait pas à quoi il joue ! Il a été président donc il a le droit de prendre la parole, mais il devrait mettre fin au faux suspense qui agace tout le monde et dire que la présidentielle ça ne l'intéresse pas, confie un député. Déjà, ça éviterait un accident industriel et il deviendrait plus audible car personne ne se demandera ce qui se cache derrière chacune de ses paroles.» Au sein du PS, il garde tout de même des fidèles. Le sénateur Patrick Kanner l'a invité le 4 septembre à Avignon pour la rentrée parlementaire des socialistes. François Hollande prononcera le discours de clôture. Une occasion pour lui de répéter l'un de ses refrains : «Le socialiste doit être fier d'être socialiste.»

Quel crédit auprès des Français ?

La relation entre François Hollande et les Français a toujours été flottante. Après son arrivée à l'Elysée, sa cote de popularité a très vite atteint des niveaux historiquement bas et n'a jamais vraiment redécollé. Seule sa gestion de la vague d'attentats durant son mandat est largement saluée. Un de ses amis se désole : «Il n'a jamais réussi à se faire accepter alors que dans le privé, c'est une autre personne, très humaine et drôle.» Un jour, François Hollande nous confiait qu'il a mis beaucoup de temps à enfiler le costume de président de la République.

Lorsqu’on s’éloigne du PS, pour prendre la température dans les autres partis, les mots sont durs. Les écologistes, qui ont topé avec les socialistes en 2012, les insoumis et les communistes sont sur la même ligne quand il s’agit de crier leur désamour de François Hollande. Ils ne veulent plus entendre parler de lui. A droite, ce qui est certes moins important à ses yeux, beaucoup le méprisent, à l’image de Nicolas Sarkozy.

Quelle relation avec Macron ?

Rien. Pas un mot. La relation entre Macron et Hollande est nulle. On oublierait presque que c'est le socialiste qui installé l'actuel chef de l'Etat dans le paysage politique. Les rapports se sont dégradés en 2016, lorsque le ministre de l'Economie a annoncé sa démission pour se lancer à la conquête du pouvoir. Après sa victoire, il n'a jamais invité Hollande à déjeuner où à dîner pour échanger sur la situation du pays, contrairement à Nicolas Sarkozy qui a son rond de serviette à l'Elysée. Une situation étonnante. «Ce n'est pas à moi de l'appeler et je ne suis pas en demande», disait il y a quelques mois le socialiste. Mais il ne déclinerait pas une invitation pour parler des gilets jaunes ou de Trump. Lors de ses sorties, dans ses discours, François Hollande ne se prive pas de partager ses doutes et de se payer la politique de Macron.