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Choix

Sylvie Goulard, une candidate à la Commission qui ne fait pas l’union

Après un passage éphémère au gouvernement, l’ex-eurodéputée a été choisie par Macron pour devenir commissaire européenne. Une décision contestée.
Sylvie Goulard, en juin 2017, alors ministre de la Défense. (Photo AFP)
par Alain Auffray et Jean Quatremer, à Bruxelles
publié le 28 août 2019 à 20h46

Emmanuel Macron ne pouvait pas, a priori, choisir personnalité plus idoine pour occuper le poste de commissaire européen que Sylvie Goulard, l’actuelle sous-gouverneure de la Banque de France : militante fédéraliste convaincue, elle a fait l’essentiel de sa carrière sur les questions européennes à Paris et à Bruxelles. D’abord à la Commission auprès de Romano Prodi, puis au Parlement européen où elle a été députée «libérale» entre 2009 et 2017. Et pour ne rien gâcher, cette énarque de 54 ans parle parfaitement allemand, anglais et italien, et connaît sur le bout des doigts l’Allemagne, un pays dont elle est très proche. Personne ne pourra mettre en doute ses compétences.

Mais, et c’est un énorme risque pris par le chef de l’Etat, il y a un côté obscur chez Sylvie Goulard, qui rend sa confirmation par le Parlement européen pour le moins incertaine. Après avoir rallié Macron dès octobre 2016, lui ouvrant son carnet d’adresses européen, Goulard avait dû démissionner de son poste de ministre des Armées, le 21 juin 2017, à peine un mois après y avoir été nommée, en raison de son implication dans le scandale des assistants parlementaires européens présumés fictifs du Modem. Or cette affaire n’est toujours pas jugée, ce qui donne la désagréable impression que ce qui empêche d’être ministre à Paris ne serait pas un obstacle pour occuper une fonction européenne. L’eurodéputé EE-LV Yannick Jadot l’a illico souligné sur Twitter.

Affaire gênante

A l'époque, la rapidité avec laquelle Goulard avait démissionné avait surpris. D'autant qu'elle a alors contraint François Bayrou, le ministre de la Justice et patron du Modem à qui elle devait son poste, à jeter l'éponge à son tour. Pour mieux se défendre, comme elle l'affirmait ? Ou pour éviter d'embarrassantes questions sur une autre affaire : ses liens avec un sulfureux milliardaire américain, Nicolas Berggruen, un «financier vautour» selon le magazine Forbes comme le rappelle Mediapart ? Entre 2013 et 2016, alors qu'elle était eurodéputée et donc rémunérée 8 760 euros brut mensuels, elle a touché «plus de 10 000 euros brut par mois» versés par un «think tank» financé par Berggruen. Pour quelles tâches ? Nul ne le sait. Ce n'était pas vraiment un secret, puisqu'elle l'avait signalé sur la «déclaration d'intérêts» que doivent remplir tous les eurodéputés. Mais un tel niveau de rémunération, sans être illégal, n'est pas anodin, Sylvie Goulard étant alors l'une des figures de proue du Parlement sur les questions économiques et financières. Une affaire pour le moins gênante pour celle qui clamait en octobre 2014, après avoir bataillé contre la nomination de Pierre Moscovici comme commissaire aux Affaires économiques et monétaires au motif qu'«il ne faut accepter que des personnalités incontestables, sinon les opinions publiques nous le reprocheraient».

Nul doute que les eurodéputés s’en souviendront alors qu’ils sont déterminés à rappeler aux Etats qu’ils disposent du pouvoir de confirmer ou non les commissaires proposés par les gouvernements. Beaucoup d’entre eux n’ont pas digéré que Macron ait réussi à tuer le système des «Spitzenkandidaten» en convainquant le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, en juillet, de désigner l’outsider Ursula von der Leyen. La faible majorité que la ministre de la Défense allemande a ensuite obtenue devant le Parlement européen le 16 juillet (383 voix contre 327) est un bon indicateur du malaise ambiant. La tentation sera donc forte de faire payer à Goulard, proche du chef de l’Etat, la facture que celui-ci a laissée. D’autant qu’elle a su se constituer de solides inimitiés au Parlement européen et au-delà, notamment Moscovici, Sandro Gozi, actuel conseiller d’Edouard Philippe, Guy Verhofstadt, ancien président du groupe libéral, François Bayrou, etc. Elle se montre volontiers méprisante avec ceux qu’elle ne juge pas à sa hauteur.

Déontologie

Alors que la date limite du dépôt des candidatures était fixée à dimanche, Macron a fait connaître sa décision avec deux jours de retard. Ce qui trahit de grandes hésitations, quoiqu'en dise le chef de la délégation française «Renaissance» au Parlement européen, Stéphane Séjourné, qui osait saluer mercredi «le choix de l'évidence»… Si tel était le cas, cette désignation serait intervenue dès juillet. En fait, le chef de l'Etat a exploré jusqu'au bout d'autres pistes : les noms des ministres Florence Parly (Armées) et Bruno Le Maire (Economie et finances) ont circulé avec insistance, tout comme celui de Benoît Cœuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne. Le choix final a été arrêté en concertation avec la présidente élue de la Commission, l'Allemande Ursula von der Leyen. «Goulard sera dans les mains des Allemands» se désolait mercredi un député du Modem. De fait, plusieurs élus d'outre-Rhin pourraient être tentés de soutenir cette Française qui a toujours défendu la vision économique et budgétaire de Berlin. Au fond, les eurodéputés devront dire s'ils privilégient l'engagement européen et la compétence des candidats… ou plutôt leur déontologie, comme le souhaitait Sylvie Goulard en 2014 ?