Menu
Libération
Institutions

En Europe, les parlementarismes à l'épreuve du populisme

En Italie et au Royaume-Uni, de nouveaux gouvernements se forment sans repasser par la case élections, au risque de les fragiliser. De son côté, la France, figure de la stabilité présidentielle, dit chercher à redonner un peu d'air à son Parlement.
Le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre italien Giuseppe Conte, à l'Elysée, en juin 2018. (LUDOVIC MARIN/Photo Ludovic Marin. AFP)
publié le 29 août 2019 à 17h50

L'Italie en plein déni de démocratie ? Après l'éclatement de la coalition entre les populistes du mouvement Cinq étoiles (M5S) et la Lega (extrême droite), la mise en place d'une nouvelle alliance, au moins aussi baroque et donc fragile que la précédente, entre Cinq étoiles et cette fois le Parti démocrate (PD), va-t-elle à l'encontre de la vérité des urnes ? S'il est légitime au regard des résultats des dernières législatives, où le M5S avait fini nettement en tête, cet attelage est surtout une façon de mettre sur la touche, au moins institutionnellement, Matteo Salvini, le leader d'extrême droite et jusque-là ministre de l'Intérieur.

Des gouvernements nommés sans élection

Fort de sa popularité, montée en flèche au fil de son exercice populiste du pouvoir, notamment sur le dossier des migrants, Salvini a cru pouvoir monétiser sans tarder des intention de votes flatteuses, en imposant des élections anticipées. Auxquelles lui seul avait intérêt. Or la logique parlementaire n’est pas de retourner aux urnes chaque fois que tel ou tel parti le souhaite, mais plutôt d’obliger des formations, qui ont concouru séparément sans obtenir à elle seule de majorité, à s’entendre sur un programme de gouvernement aussi commun que possible. C’est à ce titre que l’attelage M5S-PD interroge au moins autant que le précédent, alors que les deux formations ne sont d’accord sur quasiment rien. Reste surtout à savoir si Salvini, privé de sa tribune ministérielle, capitalisera en attendant son heure ou perdra des plumes pour l’avoir joué perso au mépris de la stabilité du pays.

La situation est au moins aussi singulière dans un autre régime parlementaire : l’Angleterre à la sauce Boris Johnson. D’abord un rappel: si le Brexit est bien le fruit d’un vote, il y a trois ans, lors d’un référendum promis par l’ancien Premier ministre David Cameron, pourtant opposé au Brexit, lors d’une campagne législative sous la pression du souverainiste-populiste Nigel Farage, la donne a quelque peu changé depuis. Comme si le débat public de ces dernières années avait éclairé bien des électeurs. Et force est de constater qu’il existe désormais une majorité à la Chambre des communes comme dans le pays pour refuser la sortie sans accord portée en étendard par Boris Johnson.

Le nouveau Premier ministre a pourtant choisi de s'asseoir sur cette réalité, en arguant du respect du vote des Britanniques et en suspendant durant les cinq prochaines semaines les travaux du Parlement, pour empêcher toute initiative se mettant en travers de sa route. Un coup de force qui a déclenché manifestations et pétitions. Ne serait-ce pas Johnson, même s'il est dans les clous de la Constitution, qui piétine la démocratie représentative ? Lui n'a débarqué au 10 Downing street qu'en étant désigné à la tête des conservateurs par deux tiers des 160 000 membres du parti. Grossièrement enjambé, les députés peuvent dès lors choisir de déclencher une motion de défiance contre le gouvernement : son adoption nécessiterait que plusieurs élus conservateurs votent contre leur camp. Une hypothèse fragile mais pas impossible. Elle conduirait à des élections anticipées. Nigel Farage (Brexit party) l'attend avec autant de gourmandise que Salvini.

Stabilité et engourdissement français

En France, le cadre institutionnel n’a pas grand-chose à voir. Faut-il s’en plaindre ? Le régime présidentiel français et la logique majoritaire à l’Assemblée nationale (encore renforcés en 2002 par le couple Chirac-Jospin via le passage au quinquennat présidentiel conjugué à l’inversion du calendrier électoral) ont bien des défauts. Mais force est de constater, et parfois d’apprécier, la stabilité qu’un tel système institutionnel garantit. Jusqu’à l’engourdissement parfois, car pas grand-chose, si ce n’est la mobilisation massive et durable de la rue, ne semble pouvoir entraver la volonté de l’Elysée.

A la majorité, le doigt sur la couture, de s'exécuter, elle qui doit son élection au président en exercice. Dans un hémicycle où elle est surreprésentée au regard de son poids réel dans le pays, l’introduction d’une dose de proportionnelle – 20% selon les précisions de la ministre de la Justice mercredi – donnera forcément un peu d’air au Palais Bourbon. Sans faire (re)basculer la France dans un régime parlementaire par nature instable. La suppression du 49-3, cet article de la Constitution qui permet au pouvoir exécutif de zapper le pouvoir législatif pour faire passer une loi, n’est pas à l’ordre du jour mais serait aussi souhaitable. Quant à rendre plus accessible et donc plus fréquent le référendum d’initiative partagée, cela va dans le bon sens pour desserrer un peu l’étau.

Mais dans l’esprit du pouvoir, le corollaire de cette proportionnelle est la réduction du nombre de parlementaires. L’intérêt de cette mesure, s’il s’agit de renforcer la place du Parlement, n’a pourtant jamais été démontré : la chambre la plus puissante du monde n’est-elle pas le Sénat américain et ses 100 sièges, mais le Bundestag allemand, pas non plus un acteur mineur, compte près de 600 élus. Comme souvent, on fait dire ce qu'on veut aux chiffres. En l’espèce, il semble que l’objectif soit d’abord d’être en phase avec l’opinion, dont la défiance à l’égard des élus s’amplifie année après année : huit Français sur dix sont favorables à couper dans les effectifs des parlementaires. Surtout s’il ne s’agit pas du leur.